Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tibilité dont tous les élus jouiront à la résurrection. Mais les premiers parfums employés par la femme marquent la grandeur sans exemple du règne et du sacerdoce de Jésus-Christ ; l’onction de la tête s’applique au premier, celle des pieds au second. Voilà donc qu’il a reçu l’onction royale des mains d’une femme, lui qui s’est refusé à accepter la royauté que lui avaient offerte des hommes, lui qui s’enfuit parce qu’ils voulaient le contraindre à l’accepter ; et c’est comme roi du ciel, non comme roi de la terre, qu’une femme l’a sacré, suivant ce qu’il a dit lui-même : « mon royaume n’est pas de ce monde. »

Les évêques se glorifient, alors qu’aux applaudissements des peuples, ils oignent les rois de la terre, ou que, revêtus d’habits magnifiques et ruisselants d’or, ils consacrent des prêtres mortels, bénissant trop souvent ceux qui sont maudits de Dieu. C’est une humble femme qui, sans changer de vêtement, sans aucun appareil, et au milieu de l’indignation des Apôtres, confère au Christ ces deux sacrements, non par devoir d’état, mais par zèle de dévotion. Ô merveilleuse fermeté de la foi ! ô inappréciable ferveur d’amour « qui croit tout, espère tout et souffre tout ! » Le pharisien murmure de ce qu’une pécheresse oint les pieds du Seigneur ; les Apôtres s’indignent hautement de ce qu’une femme ne craint pas de toucher à sa tête. La foi de la femme demeure inébranlable ; elle a confiance dans la bonté du Seigneur, et l’approbation du Seigneur ne lui fait défaut ni pour l’une ni pour l’autre onction ; il témoigne lui-même combien ces parfums lui ont été agréables, avec quelle reconnaissance il les a reçus, en demandant qu’on lui en réserve et en disant à Judas indigné : « laissez-la m’en conserver pour le jour de ma sépulture. » C’est comme s’il eût dit : ne détournez pas de moi cet hommage tandis que je vis, de peur de m’enlever du même coup les témoignages de sa piété après ma mort.

Il n’est pas douteux, en effet, que ce soient les saintes femmes qui ont préparé les parfums pour embaumer son corps, et Marie se serait moins empressée d’être du nombre, si elle eût alors éprouvé la honte d’un refus. Au contraire, tandis que les disciples s’indignaient de la hardiesse de cette femme et murmuraient contre elle, comme dit saint Marc, après les avoir apaisés par des réponses pleines de douceur, il fit l’éloge de son offrande et voulut que mention en fût insérée dans son Évangile, afin que ce fait fût, avec l’Évangile, répandu par toute la terre, en mémoire et à l’honneur de cette femme qu’ils accusaient de présomption. Et nous ne voyons pas que Dieu ait jamais honoré et sanctionné d’une telle recommandation aucun des hommages qui lui furent rendus.

Il a encore témoigné combien il avait pour agréable la piété des femmes, en préférant à toutes les offrandes du temple l’aumône de la pauvre veuve. Autre exemple : Pierre se fait honneur d’avoir, lui et ses compagnons, tout abandonné pour le Christ. Zachée, ayant reçu le Seigneur, suivant son dé-