Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/275

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sent à nos martyrs, ne trouverons-nous pas qu’ils militent pour nous et sont complètement au profit de notre cause ? Certes, parmi les grands miracles de leurs dieux, le plus grand est celui que cite Varron au sujet de cette vestale qui, accusée injustement de s’être déshonorée, remplit un crible de l’eau du Tibre et l’apporta devant ses juges sans qu’il s’en échappât une goutte ? Qui a sooutenu le poids de cette eau à travers tant d’ouvertures ? N’est-ce pas Dieu qui, dans sa toute-puissance, a ôté la pesanteur à un corps terrestre et en a fait un corps vivifié, lui, l’esprit vivifiant ?

Ne soyons pas surpris si, par ces miracles et par d’autres, Dieu a exalté la chasteté des infidèles eux-mêmes, ou s’il a permis qu’elle fût exaltée par le démon : c’était pour exciter les fidèles à pratiquer cette vertu avec d’autant plus de zèle, qu’ils la verraient plus honorée chez les infidèles. Nous savons que c’est à la dignité et non à la personne de Caïphe que le don de prophétie a été accordé, et que si les faux apôtres ont joui de l’honneur éclatant de faire des miracles, ce n’est pas à leur personne, mais à leur ministère qu’ils le doivent. Qu’y a-t-il donc d’étonnant que le Seigneur ait accordé cette faveur, non à la personne des femmes infidèles, mais à la vertu de continence qu’elles pratiquaient, pour sauver l’honneur d’une vierge et mettre à néant l’accusation d’impudeur dont elle était l’objet ? Il est certain que l’amour de la continence est une vertu même chez les infidèles, tout comme le respect de la foi conjugale est un don de Dieu chez tous les peuples. Et il ne faut pas s’étonner que Dieu honore, non l’erreur des infidèles, mais ses dons, par les prodiges qu’il leur accorde, alors surtout que ses prodiges sont, comme je l’ai dit, un moyen de sauver l’innocence accusée et de con- fondre la malice des méchants ; sans compter que c’est pour les fidèles un motif d’autant plus pressant d’atteindre une vertu si hautement glorifiée, qu’ils ont moins de mérite que les infidèles à s’abstenir des plaisirs charnels.

C’est de là que saint Jérôme, d’accord avec la plupart des docteurs, a conclu, non sans raison, contre l’hérétique Jovinien, cet ennemi de la chasteté dont j’ai parlé plus haut, qu’il devait rougir de trouver chez les païens ce qu’il ne trouvait pas chez les chrétiens. Peut-on méconnaître, en effet, les dons du Seigneur dans la puissance des rois infidèles, alors même qu’ils en mésusent, dans l’amour de la justice, dans la mansuétude qu’ils ne tiennent que des lumières de la loi naturelle, et dans les autres vertus royales ? Peut- on dire que ce ne soient pas des vertus, parce qu’elles sont mêlées de vices ? Et cela, quand, suivant le raisonnement de saint Augustin et l’évident témoignage de la raison, il ne peut y avoir de vices que dans une bonne nature ? Comment, en effet, ne pas approuver la maxime du poète : « Les gens de bien fuient le mal par amour pour la vertu ? » Ne fût-ce que pour encourager les princes à imiter de telles vertus, combien ne vaut-il pas mieux accepter que contester le miracle accompli, selon Suétone, par Vespasien, quand il n’était pas encore parvenu à l’empire, au sujet de cet aveu-