Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/93

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parle d’eux comme des moines de ce temps, dit entre autres choses : « Les fils des prophètes, que l’Ancien Testament nous représente comme des moines, se bâtissaient de petites cabanes vers le cours du Jourdain, et abandonnaient les villes et la société des hommes, pour aller vivre de grains broyés et d’herbes sauvages. » De même, mes disciples, élevant de petites cellules sur les bords de l’Arduzon, ressemblaient plutôt à des ermites qu’à des étudiants.

Mais plus leur affluence était considérable, plus les privations qu’ils s’imposaient, conformément aux prescriptions de mon enseignement, étaient rigoureuses, plus mes rivaux y envisageaient de gloire pour moi et de honte pour eux. Après avoir tout fait pour me nuire, ils souffraient de voir la chose tourner à mon avantage ; et, selon le mot de saint Jérôme, loin des villes, loin des affaires publiques, des procès, de la foule, l’envie, comme dit Quintilien, vint me relancer dans ma retraite. Au fond de leur cœur et tout bas, ils disaient. Tout le monde s’en est allé après lui : nos persécutions n’ont rien fait ; nous n’avons réussi qu’à augmenter sa gloire. Nous voulions éteindre l’éclat de son nom, nous l’avons fait resplendir. Voici que les étudiants, qui ont sous la main, dans les villes, tout ce qui leur est nécessaire, dédaignent les agréments des villes, courent chercher les privations de la solitude et se réduisent volontairement à la misère.

À ce moment, ce fut surtout l’excès de la pauvreté qui me détermina à ouvrir une école : je n’avais pas la force de labourer la terre et je rougissais de mendier. Ayant donc recours à l’art que je connaissais, pour remplacer le travail des mains, je dus faire office de ma langue. De leur côté, mes disciples pourvoyaient d’eux-mêmes à tout ce qui m’était nécessaire : nourriture, vêtements, culture des champs, constructions, si bien qu’aucun soin domestique ne me distrayait de l’étude. Mais, comme notre oratoire ne pouvait contenir qu’un petit nombre d’entre eux, ils se trouvèrent forcés de l’agrandir, et ils le rebâtirent d’une manière plus solide, en pierres et en bois. Fondé d’abord au nom de la Sainte-Trinité, placé ensuite sous son invocation, le sanctuaire fut appelé Paraclet, en mémoire de ce que j’y étais venu en fugitif, et de ce qu’au milieu de mon désespoir, j’y avais trouvé quelque repos dans les consolations de la grâce divine. Cette dénomination fut accueillie par plusieurs avec un grand étonnement ; quelques-uns l’attaquèrent avec violence, sous prétexte qu’il n’était pas permis de consacrer spécialement une église au Saint-Esprit, pas plus qu’à Dieu le Père, mais qu’il fallait, suivant l’usage ancien, la dédier soit au Fils seul, soit à la Trinité.

Leur erreur provenait de ce qu’ils ne voyaient pas la distinction qui existe entre l’Esprit du Paraclet et le Paraclet. En effet, la Trinité elle-même et toutes les personnes de la Trinité, de même qu’elle est appelée Dieu et Protecteur, peut être parfaitement invoquée sous le nom de Paraclet, c’est-à-dire de Consolateur, selon la parole de l’Apôtre : « Dieu béni et le Père de N. S. Jésus-Christ, le père des miséricordes, le Dieu de toutes les consola-