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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE.

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Cette négligence est d’autant plus coupable chez des moines qui aspirent à la perfection, que la science leur est plus facile, grâce à l’abondance des livres saints dont ils sont pourvus, et aux loisirs dont ils jouissent. Aussi, dans les Vies des Pères, l’auguste vieillard accusait-il vivement ceux qui se glorifient de la multitude des livres qu’ils possèdent et qui ne prennent aucun soin de les lire. « Les prophètes ont écrit des livres, dit-il ; nos pè- res, qui sont venus ensuile, ont beaucoup travaillé sur ces livres, leurs successeurs en ont rempli leur mémoire ; puis est venue cette génération, la nôtre, qui les transmet sur des parchemins et des peaux, mais qui les laisse reposer dans les vitrines des bibliothèques ! » C’est pour cela que l’abbé Palladius aussi nous engage vivement à apprendre et à enseigner, c II faut qu’une âme qui veut vivre selon la volonté de Jésus-Christ, dit-il, apprenne sérieusement ce qu’elle ignore, ou enseigne clairement ce qu’elle sait. » Or, si elle ne sait ni l’une ni l’autre de ces choses, le pouvant, mais ne le vou- lant pas, c’est qu’elle est atteinte de folie. En effet, le premier principe de l’éloiguement de Dieu, c’est le manque de goût pour sa doctrine. Et com- ment peut-on l’aimer, quand on ne désire pas ce dont l’âme a toujours besoin ?

Aussi saint Athanase, dans son Exhortation aux moines, leur recom- mande-t-il le soin de la lecture et de l’étude jusqu’à leur permettre, pour s’y livrer, d’interrompre l’exercice de la prière. « Je vais, dit-il, tracer le chemin de notre vie. D’abord l’abstinence, le jeûne, la prière et la lecture assidues, ou, pour ceux qui ne seraient pas encore versés dans les lettres, le soin d’écouter, inspiré par le besoin d’apprendre ; voilà pour les nouveau- nés encore nourris à la mamelle, si je puis ainsi dire, les premiers éléments de la connaissance de Dieu. » Et après quelques explications : « Il faut, ajoute-l-il, incessamment prier : d’une prière à l’autre, qu’il y ait à peine l’intervalle d’un moment. Il ne doit y avoir d’interruption, dit-il ensuite, que pour la lecture. »

Saint Pierre ne dit pas autrement : « Soyez toujours prêts à rendre rai- son de votre foi et de vos espérances à qui vous interroge. » Et saint Paul : « Nous ne cessons de prier pour vous, afin que vous soyez remplis de la connaissance de Dieu en sagesse et en intelligence spirituelle. » Et encore : f Que la parole de Jésus-Christ demeure en vous avec la plénitude de sa sagesse. » Dans l’Ancien Testament, la loi recommande aussi aux hommes de s’instruire des préceptes sacrés. « Heureux l’homme, dit David, qui ne s’est pas laissé aller au conseil des impies, qui ne s’est pas arrêté dans la voie des pécheurs, qui ne s’est pas assis dans les chaires de pestilence, mais dont la volonté repose sur la loi du Seigneur. » Dieu lui-même dit à Jésus-Christ : « Ce livre ne sortira pas de vos mains, et vous le méditerez jour et nuit. »

Parmi les occupations du monastère s’introduisent souvent les mauvaises pensées, dont la pente est glissante ; et bien que notre application tienne

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