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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE.

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ceux qu’ils appellent illettrés. Eh bieu, ce sont ceux-là que le Seigneur accuse de s’approcher de lui de la bouche seulement et des lèvres, puisqu’ils ne peuvent comprendre les mots qu’ils savent, tant bien que mal, pronon- cer. Étrangers à la science des révélations divines, ils suivent plutôt, dans leur obéissance, la coutume des hommes que l’utilité de l’Écriture. C’est pour cela que le Seigneur menace d’aveugler ceux qui parmi eux passent pour sages et siègent comme docteurs.

Le grand docteur de l’Église, l’honneur de la vie monastique, saint Jérô- me, nous exhorte à l’amour des livres, quand il dit : « Aimez la science des lettres : c’est le moyen de ne pas aimer les péchés de la chair. » Combien il leur a consacré lui-même de temps et de peine, son témoignage nous l’ap- prend. Entre autres révélations qu’il nous fajt sur ses propres études, sans doute pour que son exemple nous serve de leçon, il dit, en certain pas- sage, à Pammachius et à Oceanus : « Quand j’étais jeune, j’étais dévoré d’une ardeur d’apprendre extraordinaire. Et je n’ai pas fait moi-même mon édu- cation, suivant les présomptueuses prétentions de quelques-uns : j’ai suivi les leçons d’Apollinaire à Antioche, je me suis attaché à lui, et il m’ins- truisait dans les saintes Écritures. Déjà des cheveux blancs parsemaient ma tête, et le rôle de maître me convenait mieux que celui de disciple : j’allai néanmoins à Alexandrie, je suivis les leçons de Didyme, et je lui rends grâ- ces de m’avoir appris bien des choses que j’ignorais encore. On croyait que j’en avais fini d’apprendre. Je retournai à Jérusalem et à Bethléem pour assister (au prix de quel travail et de quelles dépenses !) aux cours du doc- teur hébreu Barannias ; il les faisait la nuit, car il craignait les Juifs, et il se montrait pour moi comme un autre Nicodème. » 11 avait, sans doute, gravé dans la mémoire ce qu’il avait lu dans l’Ecclésiaste : c Mon fils, com- mencez à vous instruire dès votre jeunesse, et jusqu’en vos vieux ans vous trouverez la sagesse. » Et ce n’étaient pas seulement les paroles de l’Écriture, c’étaient aussi les exemples des saints Pères qui l’avaient instruit ; car par- mi les éloges qu’il donne à cet excellent monastère, il ajoute ceci au sujet de l’étude particulière qu’on y faisait des saintes Écritures : i Nous n’avons jamais vu tant d’application à la méditation, à l’intelligence, à l’étude des divines Écritures ; on aurait pris les moines pour autant d’orateurs appelés à l’enseignement de la sagesse divine. »

Saint Bède aussi, reçu fort jeune dans un monastère, disait, ainsi qu’il le rapporte dans son histoire d’Angleterre : c Pendant tout le temps de ma vie que j’ai passé dans le même monastère, je me suis livré à la méditation de l’Écriture, et dans les intervalles de loisir que me laissaient l’observance de la règle et le soin quotidien de chanter à l’église, j’ai fait mes délices d’apprendre, d’enseigner ou d’écrire. »

Aujourd’hui, ceux qui sont élevés dans les monastères se complaisent dans une telle ignorance, que, se bornant à émettre des sons, ils ne prennent aucun souci de comprendre ; ce n’est pas leur cœur, c’est leur