Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres II.djvu/218

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

QUESTIONS D’HÉLOÏSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 455

dit que tels ont obtenu la béatitude pour tels mérites, comme si l’un quelconque de ces mérites suffisait pour obtenir la béatitude, à en juger par la récompense promise ? Il est dit, en effet : « Bienheureux les pauvres en esprit, le royaume des cieux leur appartient. 1 Et de même pour d’autres mérites : la récompense y est attachée, comme si un seul d’entre eux était suffisant pour le salut. Nous demandous quelques explications à ce sujet, afin de savoir clairement si ces mérites pris isolément suffisent, ou s’il est nécessaire qu’ils soient tous réunis dans le même homme.

hépontefAbélard.

Il est sept mérites, ou sept béatitudes, par lesquelles nous obtenons d’ar- river aux joies de la vie éternelle. Quant à la huitième, on doit la considérer comme la confirmation des autres, plutôt que comme une de plus ; — je veux parler de celle dont il est dit : « Bienheureux ceux qui souffrent h persécution pour la justice ; le royaume des cieux leur appartient. » En effet, comme il est évident que les fidèles bienheureux sont exposés aux persécutions, pour que Ton ne crût pas qu’ils fussent moins heureux pour cela, aux autres béatitudes on a ajouté celle-là ; c’était dire : ceux-là ne sont pas moins bienheureux qui souffrent les persécutions. C’est une con- firmation de leur béatitude que de ne point faiblir dans l’épreuve.

Il y a trois catégories de fidèles : les moines, les supérieurs, ceux qui , sont dans les liens du mariage. Les trois premières béatitudes, dans ma pensée, sont celles qui conviennent aux moines ; les deux autres appartien- , nent aux supérieurs, les deux dernières à ceux qui sont dans les liens du mariage. Telle est aussi la hiérarchie, en jugeant d’après les mérites. En effet, la catégorie des moines est, par la perfection, plus élevée que toutes les autres ; la seconde catégorie est celle des supérieurs, plus élevée assu- rément par le pouvoir que celle des moines. Cependant la belle et stérile Rachel agréa mieux à Abraham que la laide et féconde Lia, et la part de Marie vivant dans le repos est meilleure que celle de Marthe préparant les mets. La dernière catégorie est celle des hommes engagés dans les liens du ma- riage, qui sont bien loin des moines, et qui ne peuvent mériter autant que les supérieurs, quoiqu’ils soient également adonnés à la vie active. Car, sui- vant la parole de la Vérité : t Quiconque aura enseigné et fait la loi, • ce qui est l’œuvre des docteurs et des prélats, « sera appelé grand dans le ciel, » de même que celui dont la continence est la plus grande et qui est le moins engagé dans les liens du mariage.

Commençons donc par ceux qui sont les plus grands en vertu et les pre- miers aux yeux de Dieu par la dignité de la religion. La Vérité place leur sainteté dans ces trois mérites : la pauvreté, la douceur, la peine.

Bienheureux, est-il dit en général, c’est-à-dire bien traité, c’est-à-dire ayant l’âme pure et réglée.