Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/200

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Ces mœurs sont communes encore au début du xviiie siècle. Mais, à la fin du siècle, la femme bourgeoise elle-même tend à être le centre d’une vie de société brillante. Chez elle se répand le goût du luxe et, lorsque sa fortune le lui permet, elle fait fi de l’édit de Louis XVI qui a interdit aux femmes de greffiers, de notaires et de procureurs de porter aucun bijou, sauf quelques bagues, et rivalise pour la beauté des étoffes de soie de velours et de satin dont elle se revêt, avec les femmes de l’aristocratie ; elle ruisselle de perles et de diamants. Elle a cessé d’être familière avec ses servantes, de mettre la main à la pâte dans les travaux du ménage et de surveiller elle-même l’éducation de ses enfants.

Le jeu, le bal, la comédie l’occupent et elle donne de brillantes réceptions. Si, dans quelques salons de la bourgeoisie, sans doute ceux du Marais, on trouve encore les veuves corpulentes, les demoiselles surannées et les ménagères de la paroisse qui parlent toutes ensemble, dans la plupart des salons d’un goût moderne les femmes sont légères et spirituelles : « elles se piquent aujourd’hui de faire le charme de la société, plus sociables, plus éclairées qu’autrefois et, s’étant montées au ton des hommes, elles rivalisent avec leur génie[1] ».

À Paris, leurs réceptions ont volontiers une allure littéraire. Sans parler de Mme Geoffrin qui n’est, malgré tout l’éclat de son salon, qu’une femme de moyenne bourgeoisie, assez nombreuses sont les bourgeoises qui se piquent d’avoir un « salon ». Mme Roland, dans ses mémoires, nous décrit de façon fort vivante quelques-uns de ces salons. Tel celui de Mme Lépine, femme d’un sculpteur, « dont le mobilier est fort modeste mais où l’on joue la comédie, où l’on donne des concerts, où fréquentent d’insolentes baronnes, de jolis abbés, de vieux chevaliers ou de jeunes plumets[2] ».

« En province, quelquefois, la présence d’une femme d’esprit groupant autour d’elle la société policée, crée un salon littéraire dont elle est l’âme[3] » Et tels souvenirs d’Autun, de Limoges ou de Coutances montrent que la société bourgeoise de ces petites villes ne le cédait en rien pour l’animation, l’entrain et la liberté d’allures à la meilleure société de Paris[4].

Outre son rôle familial et son rôle mondain qui reste toujours

  1. Mercier. Loc. cit.
  2. Mme Roland. Loc. cit.
  3. Babeau. Ibid.
  4. Cf. De Gallien. La vie en province sous l’ancien régime. — De Broc. La vie française.