Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/210

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de la poudre à fusil, des friandises ou des colifichets, la femme, quand elle ne règne pas seule, trône à côté de son mari.

Parfois elle lui est associée dans tel commerce qui semble exiger des connaissances spéciales. Chez les Argens, amis de la famille Phlipon, le mari et la femme s’occupent également de la vente et du courtage des diamants. Et la femme a acquis dans cette branche une compétence remarquable. « Vois Mme Argens, dit Mme Phlipon à sa fille, elle connaît les diamants aussi bien que son mari ; elle traite avec les courtiers dans son absence. Elle conclut aussi des marchés avec les particuliers. Elle continuerait le commerce quand bien même elle deviendrait veuve[1]. »

Naturellement, les femmes ainsi associées aux affaires de leurs maris trouvaient le bénéfice de leur activité et de la part très grande qu’elles apportaient au gain de la communauté, dans une relative indépendance et dans l’acquisition du bien-être et du luxe. Les femmes de marchands, au xviiie siècle, commencent à orner leurs appartements de meubles précieux : les sofas, les bergères trouvent leur place dans leurs salons ; elles donnent des réceptions où l’on imite le ton de la Cour. Enfin elles renoncent à leur simplicité ancienne pour s’habiller de soie, de satin, de velours et pour se couvrir de bijoux. Les bijoux, voilà la grande passion des marchandes. « Elles portent des colliers de perles et de cornaline enchâssés d’or et garnis de perles, elles sont amplement pourvues de chaînes d’or à étoiles rondes ou carrées, de chapelets précieux, de bagues garnies d’émeraudes, de diamants, de rubis, d’anneaux d’or, de colliers, de boucles d’oreilles garnies de brillants[2]. »

Aussi, Restif de la Bretonne constate-t-il que « ce sont les femmes et filles de la petite bourgeoisie qui, dans la capitale, brillent le plus par leur élégance et leur bon goût, lancent la mode et donnent le ton à la France et à l’Europe » [3].

Bien entendu, si cette existence dorée est l’apanage des femmes de marchands, elle ne l’est pas de toutes les femmes de la petite bourgeoisie. Nombreuses sont celles qui, devenues veuves, ou filles non encore mariées, mènent une existence fort gênée. Une jeune orpheline du Languedoc, Madeleine Augier, dispose de douze livres pour s’acheter une paire de souliers et deux robes, de quinze livres pour un manteau. « Elle a cependant une robe de satin bleu et des

  1. Mme Roland. Loc. cit.
  2. Babeau. Bourgeois d’autrefois.
  3. Restif de la Bretonne. Les Parisiennes.