Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/327

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souvent pour cause première la résistance d’une humble femme de la bourgeoisie ou du peuple aux volontés des curés constitutionnaires. En 1754, une lingère de la capitale, bonne janséniste, vit arriver à son lit de mort le grand pénitencier de Notre-Dame qui lui demanda de se réconcilier avec l’Église. Elle déclara qu’elle n’avait pas à se réconcilier et mourut sans être administrée. Son convoi fut suivi par huit ou dix hommes en robe, cent ecclésiastiques et laïques en noir et portant l’épée. Tout ce monde a été suivi de plus de trois cents femmes qui ont jeté de l’eau bénite, « ce qui ne se fait à aucun enterrement » [1]. Cette fille, explique Barbier, était parmi les bourgeois et bourgeoises de Paris, en grande considération. L’année précédente, un conflit de cette même fille avec son curé avait été la cause de l’exil de l’archevêque de Paris.

Nombreux pendant cette année 1754, les refus de sacrements amenèrent dans le peuple des manifestations de solidarité féminine. Un jour, rapporte d’Argenson, les poissardes ont insulté l’archevêque de Paris, qui passait sur le Pont-Neuf, et ont dit : « Il faut noyer ce b… là qui veut nous empêcher de recevoir les sacrements. » [2] Fait bien significatif : il montre que, peut-être d’ailleurs par esprit naturel de Fronde, plus que par raisonnement philosophique, le jansénisme commence à gagner dans le peuple même l’élément féminin. Mais il faut y revenir, et le fait nous paraît important, ce sont surtout des femmes seules que le jansénisme a profondément imprégnées. C’est parmi elles qu’il trouve ses plus énergiques confesseurs, non parmi des mères de famille qui pourraient inculquer la doctrine à leurs enfants. N’est-ce pas une des causes qui expliquent son dessèchement puis son extinction ?

Le jansénisme, qui eut tant d’adeptes parmi les curés parisiens ou provinciaux, se répandit assez rapidement au sein des ordres religieux féminins. On cite, parmi les jansénistes les plus notoires, un grand nombre de religieuses de tous les ordres : Ursulines, Visitandines, Calvairiennes, Carmélites, Hospitalières, Bénédictines, Les couvents de Paris et ceux de presque toutes les provinces semblent touchés.

Il n’est pas d’année où, en Bretagne, en Languedoc, en Anjou, en Auvergne, dans l’Ile de France, plusieurs sœurs ne meurent privées des sacrements ou ne soient, pour fait de jansénisme, en butte aux persécutions de leur évêque[3]. Parfois, sous l’influence

  1. Barbier. Loc. cit.
  2. D’Argenson. Mémoires.
  3. Nécrologie.