Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/340

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langue française et il semble bien que nos critiques littéraires (sauf Sainte-Beuve qui égale sa correspondance à celle de Voltaire) ne lui aient pas toujours assigné la place qui, dans notre littérature, doit légitimement lui revenir.

Les ouvrages de Mme  de Lambert (Avis d’une mère à sa fille, Réflexion sur les femmes, De l’Amitié) ont aussi une rare valeur littéraire et psychologique. Comme la plupart des femmes de son époque, Mme  de Lambert regarde la vie sans chercher le moins du monde à voir les hommes et la société meilleurs qu’ils ne sont » mais sans non plus les voir pires, comme Mme  du Deffand. Sa philosophie est désabusée, mais reste indulgente, ce qui ne l’empêche pas de s’élever contre les injustices ou les absurdités sociales, celles en particulier dont son sexe est victime. Très travaillés de forme, voire ciselés, ses ouvrages sont de véritables bijoux littéraires. Chaque phrase est frappée comme une maxime et il suffirait d’en détacher quelques-unes prises au hasard pour tirer des œuvres de Mme  de Lambert une collection d’aphorismes dignes des sages de la Grèce.

Les mémoires de Mme  d’Epinay, les lettres de Mme  du Deffand, les ouvrages moraux de Mme  Lambert, voilà des chefs-d’œuvre de la littérature féminine au xviiie siècle. Il en est ainsi non seulement par ce qu’elles font revivre devant nous, avec naturel et éclat, une société, mais par ce qu’ils nous révèlent des personnalités fort accusées et, à des titres divers, également intéressantes. Elles ont, par là, la même valeur que les Confessions de Jean-Jacques Rousseau ou la Correspondance de Voltaire.

ii. Romans, poésies

Lorsqu’elle fait de la littérature objective, la femme ne donne pas, il s’en faut, d’œuvres aussi parfaites et l’on pourrait croire que, comme le lui reproche Thomas, elle éprouve une certaine difficulté à s’extérioriser.

De cette difficulté, la plupart des femmes ne semblent nullement conscientes, car rarement les romancières furent aussi nombreuses. Genre littéraire qui commence d’être en honneur au xviie siècle et dont, justement, les femmes, Mlle  de Scudéry, Mme  de Lafayette avaient donné des modèles achevés, le roman connaît au siècle suivant une faveur très grande. Bien que les épopées chevaleresques tentent toujours les auteurs, ils commencent peu à peu à s’en dégager et à évoluer comme, en même temps, la tragédie, vers plus