Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/168

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exercent seules les devoirs, les occupations et les prérogatives du gentilhomme campagnard.

Dans les grandes cités provinciales, la vie menée par les femmes ressemble par plus d’un trait à celle qu’elles mènent à Paris. Comme parmi la noblesse de Cour, les mariages se concluent rapidement, sans que l’on songe à tenir compte d’autre considération que celle de l’intérêt. La plupart du temps, les jeunes filles sont mariées sans avoir été consultées et avec un homme qu’elle n’ont jamais vu. « Ainsi fut fiancée Mlle  de Vassan au marquis de Mirabeau[1] »… Tout aussi rapidement fut négocié au château de Coudray près Thouars, le mariage de Mlle  de Monbielle d’Hus… « On avait proposé aux Monbielle deux candidats, l’un, fort riche, mais de noblesse récente, l’autre, fortune moyenne, mais d’ancienne noblesse. Sans connaître ni l’un ni l’autre, les parents se décidèrent pour le second parti. Il s’agissait d’un jeune de Ferrière qui avait servi aux chevaux-légers. Il vint un jour dîner au Coudray et le lendemain fut agréé… Ma mère m’embrasse et me dit que son seul désir était de me voir heureuse. Mon père avait l’air satisfait et tout fut terminé à la satisfaction générale[2]. »

Les exemples fournis par les mémoires du temps ou par les documents d’archives montrent que la conclusion rapide des mariages, et sans que l’on demandât le moins du monde l’avis de l’intéressée, était la règle générale. À ce point de vue, la condition des jeunes filles de noblesse provinciale était de tout point semblable à celle de leurs sœurs de la haute noblesse parisienne. Comme dans la capitale, de tels mariages étaient fréquents et fertiles pour l’épouse en désillusions.

Témoin l’histoire d’une jeune fille d’Angoulême qui, mariée à 15 ans à un M. de la Sourdière, âgé de 49 ans, est aussitôt abandonnée par son mari. Joueur et débauché, celui-ci laisse sa femme à Angoulême et s’en va à Paris où il fréquente les tripots, dissipe 14 900 livres de rentes, 154 000 livres de capital et fait, en outre, 60 000 livres de dettes. Il ne reparaît au domicile conjugal que pour s’emparer des plus beaux meubles qu’il vend aux marchands d’Angoulême et de Bordeaux. Et lorsque la malheureuse Anne-Françoise de la Sourdière transporte dans une de ses maisons d’Angoulême quelques meubles de leur château de Goué, pour les mettre à l’abri des dilapidations de son mari, celui-ci l’accuse de vol[3].

  1. Henri Carré. Loc. cit.
  2. Ibid.
  3. Arch. dép., Charente, E. 1063.