Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/170

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maris. Les scandales conjugaux, ou tout au moins la rigueur des répressions maritales, apparaissent bien moins nombreux dans les provinces du Centre, du Nord, de l’Est et de l’Ouest. Là, l’austérité était sans doute plus grande et les femmes, même de l’aristocratie, donnaient souvent l’exemple de la vertu.

Cette apparence correspondait-elle toujours à la réalité ? Que cachait l’austère façade ? Il est difficile de le dire. Mais ce qu’on peut avancer sans crainte de se tromper, c’est que, quelle que fut par ailleurs sa conduite, la femme noble de province n’est pas, comme celle de Paris, une émancipée. L’autorité maritale n’est pas ici un vain mot. Et la femme est non seulement soumise à son mari, mais veuve, à ses parents, père, mère, frères ou sœurs, qui surveillent sa conduite et la punissent avec autant de rigueur que le mari « si elle forfait à l’honneur » [1].

Dans les cités provinciales, plus étroites, où tous les membres d’une même société se connaissent et se surveillent, où il n’est pas possible, comme cela est si fréquent à Paris chez les gens de qualité, d’avoir chacun sa maison, la femme vit avec son mari, n’a pas d’autres relations que les siennes et ne peut, comme elle le fait dans la capitale, mener une vie pratiquement étrangère à celle de son mari et en fait indépendante. La plupart du temps, le foyer subsiste et la présence de la femme à côté de son mari à ce foyer fait que cette famille est plus fortement constituée. En province, en un mot, les mœurs, sans suivre à la lettre les lois et sans exiger le total assujettissement de la femme, ne sont pas, comme à Paris, en contradiction absolue avec les lois.

Dans la plupart des capitales provinciales, petites ou grandes, la femme de qualité reste le centre de la vie mondaine. Qu’il s’agisse des femmes de gouverneurs de province ou des intendants venues avec leur mari de la capitale, et qui apportent les mœurs de la Cour et le désir de représenter dignement la vie parisienne, qu’il s’agisse des riches seigneurs provinciaux pourvus d’un hôtel à la ville et d’un château à la campagne, partout les femmes organisent des réceptions brillantes. En 1774, lors de l’ouverture des États de Bretagne, la princesse de Lamballe, belle-fille du gouverneur, organise une réception pour cinq cents gentilshommes et leurs femmes[2] ; à Bordeaux, la duchesse d’Aiguillon, nièce du duc de Richelieu, tient un salon renommé. À Toulouse, s’est formée,

  1. En 1708, Louise de l’Isle est condamnée à passer ses jours dans un couvent à la requête de sa sœur. (Arch. dép., Côtes-du-Nord, B. 600).
  2. Cabré. Loc. cit.