Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/179

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D’autres, possédant des propriétés ou de petits revenus qui leur assurent la certitude du lendemain, ou que leur âge ou leurs goûts dispensent de jouer un rôle brillant, se sont organisé une existence calme, exempte de soucis, remplie par le seul accomplissement des devoirs religieux et les préoccupations charitables. Voici la grand’mère de Chateaubriand, « vêtue de robes à plis à l’antique, une coiffe de dentelle noire nouée sous le menton, dont la conversation grave évoque le souvenir des règnes passés et qui, avant son coucher, qui est à neuf heures, suivant l’antique usage, prend part à la prière familiale[1] ». Voici les deux demoiselles de Saint-Lambert qui s’enferment dans leur manoir d’Haroué « où elles se cantonnent en travaux agricoles, en œuvres pies…, tiennent les nouveaux-nés sur les fonts de l’église du village, multipliant les fondations en argent et en rentes » [2]. Voici, au château de Chalais, près Barbezieux, la grand’mère de Talleyrand qui ne s’occupait « qu’à soigner les malades et le dimanche, après la messe, distribuait dans son apothicairerie, des onguents, des sirops, des tisanes et du vin ; elle avait ses armoires pleines de charpie de linge fin en rouleau pour faire des compresses et elle en distribuait elle-même les bandes » [3].

Nombreuses sont les femmes, surtout les vieilles filles ou les veuves, qui instituent des couvents sur leurs terres ou, comme Mlle  de Louvement, à Amiens, fondent des écoles ou des communautés pour les malades et les incurables[4].

Veuves, vieilles filles ou simplement seules dans leur château, parce que leur mari est parti au service du roi, les femmes nous apparaissent comme sachant mettre en valeur leur patrimoine avec habileté et énergie.

Du livre de raison de la famille Manteyer, conservé aux archives des Hautes-Alpes, surgit la curieuse physionomie de Mme  de Manteyer qui, seule dans le château, apparaît comme un vrai gentilhomme campagnard. Nous la voyons diriger sans faiblir un nombreux personnel de domestiques, de chambrières, de pâtres, de bouviers, envoyer ceux-ci dans la montagne, ceux-là dans la forêt voisine, d’autres sur les routes de Gap. Son château est comme une ruche active, centre d’une vie familiale et

  1. Carré. La noblesse de France.
  2. Mangeot. Loc. cit.
  3. Carré. Loc. cit.
  4. Arch. Dép., Somme, C. 1609.