Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/191

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Car, dans la société parlementaire, les femmes, moins brillantes en général que celles de la Cour, moins aptes à donner à leur conversation un tour piquant et imprévu, moins portées à effleurer d’une touche légère les sujets graves, ont peut-être plus de fond et de culture véritable. Elles connaissent surtout fort bien tout ce qui touche à l’histoire de leur ville et du corps illustre auquel appartiennent leurs maris ; les privilèges, les prérogatives parlementaires, les franchises et libertés anciennes des provinces dont elles discourent avec une érudition de procureur trouvent, en elles, de zélés défenseurs.

L’un des plus curieux aspects de l’histoire de la longue lutte entre les Parlements et la royauté est la part que prirent à ces luttes les femmes de parlementaires. Celles-ci, qui plus intransigeantes encore que leurs maris, encouragent à la résistance les hésitants. Par l’action qu’elles poursuivent dans les salons, voire avec une étrange hardiesse, dans la rue, elles contribuent à gagner à leur cause l’opinion et apparaissent, en définitive, comme l’une des forces les plus tenaces, les plus obstinées, l’une de celles dont l’action contribua le plus à la défaite du pouvoir royal.

C’est toute l’histoire des Parlements de Paris et de province qu’il faudrait étudier par là-même pour avoir une idée complète de l’activité politique déployée par les femmes de la bourgeoisie parlementaire. Il faut se contenter d’en saisir les traits les plus saillants.

À Paris, les femmes ou sœurs des parlementaires, bien que toutes proches de la Cour et formant souvent avec la noblesse d’épée une même société, partagent cependant toutes les préoccupations politiques de leurs maris. Comme eux, elles tiennent à maintenir intactes les prérogatives des Parlements et surtout cet honneur parlementaire qui exige qu’on ne cède pas trop vite aux volontés royales. Deux exemples sont caractéristiques : Lorsque, le 24 janvier 1756, Louis XV a ordonné aux parlementaires de reprendre leurs fonctions qu’ils viennent de cesser, à la suite de leurs démêlés avec l’archevêque de Paris, le premier président convoque les présidents des Chambres et les principaux membres des cours souveraines pour leur notifier les volontés royales. Ces magistrats se rendent chez lui. Mais, lorsqu’ils sortent du cabinet du premier président, ayant entendu de sa bouche la volonté royale, ils trouvent dans l’antichambre la première présidente qui leur dit de ne pas se presser d’exécuter ces ordres et leur fait comprendre que son mari, tenu d’exprimer la volonté du souverain, entend bien ne faire que l’exprimer sans qu’elle représente son avis