Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/198

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plus lentement, l’évolution des mœurs et tendent à ne plus exercer ces prérogatives à la rigueur.

Ils sont plus rarement trompés, semble-t-il, que les grands seigneurs. Lorsque l’infortune leur arrive, certains se vengent durement, tel le chirurgien Armand qui, ayant surpris sa femme en flagrant délit, tua le complice et fit enfermer la coupable[1]. Tel encore le mari de Sophie Monnier, après l’aventure célèbre de celle-ci avec Mirabeau.

Mais, la plupart du temps, le mari prend philosophiquement la chose. « Il ne fait point retentir les tribunaux du bruit de ses disgrâces domestiques, mais dit à sa femme : « Je ne veux pas causer vos malheurs, soyez libre, jouissez de tel contrat de rentes. Je vous prie seulement de quitter quelque temps la capitale[2]. »

C’est en effet dans la capitale surtout que les mœurs devancent les lois et que le mari bourgeois lui-même tend à renoncer à ses droits.

« La coutume de Paris, constate un pénétrant observateur des mœurs du xviiie siècle, donne à la femme des droits plus étendus ; aussi les maris parisiens et même, en général, les maris français ne sont-ils point les maîtres absolus de leurs maisons. Leurs épouses ne sont point astreintes à l’obéissance. Un air d’égalité règne entre eux. Persécuter sa femme serait chose odieuse. Jamais on ne manque aux égards que l’on se doit réciproquement[3]. »

Sans doute, dans le cours du xviiie siècle, les mœurs patriarcales de la bourgeoisie tendent-elles à disparaître pour céder la place au ton de la Cour qui veut entre mari et femme des rapports moins intimes et plus cérémonieux. Lorsqu’une petite bourgeoise dit « mon époux », remarque Mercier, elle croit anoblir celui à qui elle est conjointe. Le mari, de son côté, n’ose plus dire « ma femme ».

À la fin du xviiie siècle, les séparations entre bourgeois sont fréquentes. « Pour deux chiquenaudes » on se quitte et la femme séparée reconquiert sa pleine et entière indépendance, soit que sa fortune lui permette un train de maison suffisant, soit qu’elle se retire dans un de ces couvents comme la communauté de Saint-Chaumont, rue Saint-Denis, où l’on mène une vie très mondaine, qui ne ferme pas ses portes au « conseil de la femme séparée » et où se glisse quelque consolateur[4], et les refuges plus austères qu’of-

  1. Barbier. Loc. cit.
  2. Mercier. Loc. cit.
  3. Ibid.
  4. Ibid.