Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/201

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l’essentiel, la bourgeoise joue, en maintes circonstances, un rôle fort important. Comme nous le verrons, elle tient sa place, et fort brillante parfois, dans la vie intellectuelle, littéraire, artistique.

Il arrive aussi aux bourgeoises, mais plus rarement qu’aux femmes nobles ou à celles des parlementaires, de jouer un rôle dans les intrigues politiques. Quelques-unes furent mêlées, à Paris même, aux intrigues de Cour, telles Mme Sauveur, bourgeoise qui fut la maîtresse de Richelieu, après avoir été celle de Joly de Fleury et d’un grand nombre d’avocats et de procureurs généraux[1]. Elle exerça, s’il faut en croire le marquis d’Argenson, une assez grande influence sur le duc de Richelieu au moment où, avant son départ pour la Guyenne, il visait à gouverner le roi, et fut l’instrument de ses intrigues à la Cour et à la ville[2].

Mme Le Prévost, maîtresse du comte d’Argenson, joue un rôle analogue dans les négociations menées entre le ministre de la guerre et le Parlement, lorsque celui-ci songea, un peu avant sa chute, à se réconcilier avec l’assemblée.

Mme Geoffrin, on le sait, eut, elle, un rôle plus brillant. Lorsque son fils d’adoption, Stanislas Poniatowski, eut été élu roi de Pologne, lorsqu’il l’eut appelée à sa Cour, elle prétendit y gouverner. Saluée par les philosophes comme la reine-mère de Pologne, accueillie magnifiquement à Varsovie, où elle vint en 1764, et finissant par partager les espérances qu’avaient mises en elle ces écrivains qui la voyaient arriver en Pologne avec, à la main, la torche des lumières, elle s’apitoya sur le sort malheureux du pays et se proposa de lancer Stanislas dans la voie des réformes. Ces tentatives furent d’ailleurs vaines. Une demi brouille avec le disciple chéri et un hâtif départ en furent le seul résultat. Du moins, de retour à Paris, et réconciliée avec Stanislas, Mme Geoffrin contribua-t-elle à le faire reconnaître par la France. Sans se décourager par l’insuccès d’une première démarche auprès de Choiseul, à ce moment fort mal disposé pour Stanislas, élu par la grâce de la Russie contre les princes saxons, alliés de la maison royale, et dont le gouvernement était en rapports très tendus avec notre représentant à Varsovie, elle mit tout en œuvre pour le circonvenir. Et quand le baron de Breteuil, le ministre de Danemark, baron de Gleichen, et le premier commis aux affaires étrangères, M. de Sainte-Foy, eurent bien préparé le terrain, elle fit remettre au ministre une lettre longue et précise qui a des allures de mé-

  1. D’Argenson. Mémoires.
  2. Ibid.