Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et des controverses littéraires pour être porté sur son véritable terrain : l’égalité naturelle de tous les êtres humains, les droits de la femme comme membre de la société, l’intérêt même de cette société. Avant tout, son ouvrage apparaîtra comme la critique d’un préjugé qui, pour universel qu’il soit, ne résiste pas à un examen sérieux et impartial. Disciple de Descartes, Poulain de la Barre est bien décidé à s’en remettre à la seule raison du soin de trancher les questions qui divisent les hommes. Il veut n’admettre pour vrai rien qui ne soit appuyé par des idées claires et distinctes. Style cartésien, méthode également cartésienne.

« Les hommes n’admettent pas, dit-il, que les femmes enseignent dans une chaire, marchent dans les rues pour mettre la police, haranguent devant les juges en qualité d’avocat, soient assises dans un tribunal pour y rendre la justice, à la tête d’un Parlement, conduisent une armée…, parlent devant les Républiques ou les Princes comme chef d’une ambassade. » Voilà un fait ; la raison le justifie-t-elle ? Pas le moins du monde. Sur quoi en effet s’appuient les détracteurs des femmes pour légitimer les coutumes injustes qui les tiennent à l’écart ? Sur un simple argument de fait. « Leurs plus forts raisonnements se réduisent à dire que les choses ont toujours été comme elles sont à l’égard des femmes, ce qui est une marque qu’elles doivent toujours être de la sorte. » Argument sans valeur, malgré son universalité et l’adhésion même de la femme à l’injuste sentence. Car la raison montre que le prétendu droit naturel de l’homme n’est qu’une usurpation.

Suit une théorie de l’assujettissement des femmes où une géniale intuition parfois devance Darwin.

L’état d’infériorité physique où la grossesse met la femme, le goût de la parure qui fut un signe d’abord, bientôt une cause de faiblesse, voilà qui a permis aux hommes, aux siècles où seule régnait la force, d’établir leur empire sur les femmes[1].

Ceci fait, « ceux qui ont fait et compilé les lois étant des hommes, ont favorisé leur sexe, et les jurisconsultes ont tourné les lois en principes ». Plus tard, les historiens, hommes également, ont déformé l’histoire. « Tout ce qui a été écrit par les hommes sur les femmes doit être suspect, car ils sont à la fois juges et parties. » Le mensonge de l’histoire officielle, il a été dénoncé et maintes fois par nos féministes. Poulain de la Barre est leur précurseur.

  1. Darwin, dans : De l’origine des espèces, explique l’assujettissement des femmes de façon à peu près semblable.