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servante n’est que la bonne à tout faire, elle aide la maîtresse de maison aux plus durs travaux du ménage ; levée tôt, couchée tard, souvent rudoyée, elle fait néanmoins partie de la famille, à laquelle le plus souvent elle s’attache par de longues années, parfois pour la vie. D’ailleurs, restant vieille fille, elle n’a pas d’autre foyer.

Le type de la vieille servante est alors très répandu. Elle justifie sa prétention d’être de la famille en en prenant véritablement les intérêts. Telle cette servante citée par Grosley qui, entrée à l’âge de quinze ans au service de sa trisaïeule, servit plus de soixante ans quatre générations, gérant leurs terres en l’absence de ses maîtres et allant jusqu’à donner, ceux-ci étant tous avocats, des consultations juridiques aux paysans[1].

Le dévouement de ces servantes est absolu ; elles sont aimées, respectées de la famille, un peu craintes, car elles parlent haut et donnent des conseils, même lorsqu’on ne les leur demande pas. Elles rappellent les servantes de Molière, grondeuses et dévouées.

Dans les maisons plus importantes de la noblesse et de la bourgeoisie provinciale où l’on emploie plusieurs domestiques, on établit au-dessus d’eux une gouvernante ou femme de charge. Celle-ci apparaît, bien plus encore que la bonne à tout faire, « comme un personnage très important respecté de tous ; son nom vient dans toutes les lettres, où l’on ne manque pas de se rappeler à son souvenir » [2].

En général ignorante et complètement illettrée, la servante a cependant quelquefois des préoccupations intellectuelles. Telle servante se monte une bibliothèque[3]. Assez nombreuses, nous le verrons, sont celles qui s’intéressent aux questions religieuses et qui, catholiques ou jansénistes convaincues, font autour d’elles une propagande pour leurs idées, s’initient même à la théologie.

Cependant, le type de servante qui séjourne de longues années dans la famille tend, dès cette époque, à disparaître. « Aujourd’hui, dit Mercier, telle maîtresse essaye dix servantes en un mois[4]. » Celles-ci, accoutumées à faire leur paquet, passent de maison en maison, baptisant du nom de baraque celle où la cuisine est maigre ou surveillée de trop près. Seules, celles qui rentrent chez un vieux garçon retrouvent une fonction stable.

  1. Mémoires de Grosley, cité par Babeau : Domestiques et artisans.
  2. De Gallien. Loc. cit.
  3. Royer Collard. Mémoires, cité par Babeau, ibid.
  4. Mercier. Loc. cit.