Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/259

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si grand que, dit un contemporain, ce luxe de personnel inutile dépeuple les campagnes. C’est « un vol d’individus » à l’agriculture qui devrait être frappé d’impôts[1].

Les cuisinières ne ressemblent ni aux femmes de chambre ni aux bonnes à tout faire. Bien que la corporation des cuisiniers ne soit pas ouverte aux femmes, il semble cependant qu’à la fin du xviie siècle, elles aient été fort nombreuses. Dans nombre de maisons bourgeoises et même de grandes maisons, la cuisinière remplace le cuisinier. Elle passe en effet pour avoir le goût plus fin et surtout pour le conserver plus longtemps. Certaines provinces ont la spécialité de fournir des cuisinières particulièrement réputées.

Les plus appréciées sont les Picardes : après elles les Flamandes, les Orléanaises, les Bourguignonnes, celles-ci passant pour être les plus fidèles. Les Normandes, au contraire, sont les plus mauvaises de toutes[2].

Leurs gages sont relativement élevés : cinquante écus par an au minimum et pour assez peu de travail. Elles trouvent d’ailleurs moyen d’augmenter largement leurs revenus par la pratique de l’anse du panier — la chose et le mot existent alors — et l’usage du sou pour livre pratiqué déjà par les fournisseurs. Toute bonne cuisinière doit être habile à majorer les notes et l’initiation que les anciennes donnent aux nouvelles lorsqu’elles entrent dans la carrière porte particulièrement sur ce point[3].

Quelques-unes ne sont pas placées dans les maisons bourgeoises, mais dans les auberges ou dans les restaurants.

Telle « serveuse » d’un restaurant de la rue des Boucheries, à vingt-six sous le repas, sert dans la journée 110 personnes, distribuant à chaque repas 600 assiettes et 500 plats… « C’est, dit Mercier, un phénomène curieux par la mémoire par le sang-froid et la rapidité du service… »

Naturellement, cuisinières ou filles d’auberges, celles-ci assoiffées par leur station continuelle devant leur fourneau, celles-là habituées à servir une clientèle souvent grossière, sont bien différentes de la bonne à tout faire bourgeoise et de la soubrette de grande maison ; peu élégantes, d’aspect disgracieux, volontiers adonnées à la boisson et à la débauche, souvent voleuses, elles sont, parmi les domestiques, la classe la plus dangereuse et la plus corrompue. La « servante d’auberge » a beau être idéalisée par le roman et

  1. Mercier. Loc. cit.
  2. Ibid.
  3. Babeau. Domestiques et artisans.