Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/263

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générosité. C’est par centaines de mille livres, par millions parfois, que les plus en vue reçoivent de l’argent. Nombre de grands seigneurs ou fermiers généraux se ruinent pour elles. « Ainsi Martinville dépensa 2 millions pour Mlle Robinet[1]. On se les arrache aux enchères ». « En 1768, le prince de Condé et le comte de Lauraguais se disputent la demoiselle Hingre, danseuse de l’Opéra, et c’est le comte qui l’emporte en offrant 60 000 livres[2]… L’Anglais Elgin dépense en moins d’un an 100 000 livres pour la demoiselle Colette. » L’entretien d’une belle courtisane est une partie essentielle du luxe de tout homme du monde.

Aussi leur existence est-elle somptueuse et dorée. Mlle Deschampes, qui fut à la fin du xviiie siècle une des beautés les plus célèbres de la capitale, fait, par le luxe que lui ont donné ses amants et en dernier lieu le fermier général Brissart, l’étonnement de tout Paris. Les contemporains décrivent avec une admiration stupéfaite son boudoir rose et argent avec son plafond de glaces, semé d’ottomanes garnies de crépines d’or, sa salle à manger où, au centre d’un portique de marbre, des statues lancent des jets d’eau dans une piscine. « Il semble que les mines de Golconde aient été épuisées pour elle[3]. »

Presque toutes les courtisanes en renom sont ainsi parées d’un luxe qui éblouit et qui éclate jusque dans les moindres détails de leur mobilier ou de leur équipage. Mlle Quoniam ne sort que dans un carrosse garni d’argent et capitonné de satin bleu[4]. Mlle Guimard met des dentelles jusque sur sa chaise percée, du strass aux brides de ses chevaux. Quels sont sur le chemin de Longchamps les plus magnifiques carrosses, les plus belles livrées ? Ceux des courtisanes, dit d’Argenson. « Aujourd’hui, signale le marquis philosophe, toutes les courtisanes veulent des rentes et des diamants. » C’est presque toujours, comme le rappellent les contemporains, parmi les danseuses de l’Opéra, parmi les chanteuses que les hommes riches vont chercher leurs amies. Les comédiennes, beaucoup moins favorisées, sauf d’éclatantes exceptions, mènent une vie plus modeste et qui attire moins le regard. Il va sans dire que leurs mœurs ne sont pas plus pures…

Auprès des gens de plume et auprès des gens du monde les grandes courtisanes jouissaient d’un certain prestige.

  1. Cf. Thirion. La vie privée des financiers.
  2. Carré. Loc. cit.
  3. Bachaumont. Mémoires secrets. — Thirion. Ibid.
  4. Ibid.