Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/273

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situation de fortune le permet ont un mobilier assez complet, beaucoup de linge et de vêtements dans leurs armoires. Elles apparaissent comme assez nombreuses. Telle fermière bretonne possède « un lit, deux rideaux verts, deux oreillers, une couchette de plume d’oie, un traversin, quatre armoires, cinq coffres, deux grandes tables, des chaises, un oratoire représentant la sainte Vierge ; ses ustensiles de ménage sont variés : poêle, marmite, chaudrons, bassines, burette, cuvette en bois ou en terre, assiettes et plat d’étain, ustensile de ménage[1].

Sans doute une telle profusion d’objets et d’ustensiles est-elle exceptionnelle. Mais il n’est par rare de voir des paysannes posséder une maison assez bien montée. Les testaments ou inventaires qui nous sont parvenus en font foi[2]. Et il est curieux de constater que, même dans certaines régions pauvres comme la Bretagne, nous trouvons le goût du confortable.

Toute paysanne un peu aisée aime avoir dans sa maison des vêtements et du linge en abondance. La même paysanne bretonne que nous avons citée possède cinquante-sept coiffes, dix chemises, trois nappes, douze draps de lit, des cotillons de laine et de flanelle.

Une fermière du pays de Caux apporte en dot, en 1742, une douzaine et demie de chaque sorte de linge, deux douzaines de chemises, un habit de mariage. « Qu’on se figure, dit un historien de l’ancien régime, la fermière champenoise un jour de fête avec sa cotte de serge pourpre, son corps de damas rouge et bleu, son devant de satin attaché par des rosettes d’argent, à son cou sa croix, et l’on se dira que les bergères de théâtre pouvaient prendre leur modèle dans la réalité[3]. »

Le goût du luxe qui, à partir du xviie siècle, fait de si grands progrès dans les villes, a donc gagné également les campagnes et, comme dans les villes, les femmes suivent, quoique moins rapidement, les fluctuations de la mode. À la fin du xviiie siècle, de même que dans les appartements bourgeois et dans les demeures des nobles, à la préoccupation du luxe se joint celle du confortable, de même la paysanne laisse les riches et lourdes étoffes, drap ou damas, pour se vêtir de ces tissus plus légers que le développement nouveau et les progrès plus récents de l’industrie textile lancent dans toute la France : indiennes, toiles imprimées, cotonnades de couleurs claires et qui, au lieu de se transmettre de mère en fille,

  1. Sée. Les classes rurales en Bretagne du xvie siècle à la Révolution.
  2. Arch. Départ., passim, série E.
  3. Babeau. Paysans et artisans.