Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/332

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une douceur inlassables de pratiquer la religion des pères, qui se marient au désert devant leurs pasteurs, font baptiser secrètement leurs enfants dans des granges, des étables, comme ceux des premiers chrétiens, et affirment à l’heure dernière leur fidélité à leurs croyances[1]. Contrairement à ce que nous montre le jansénisme, où nous voyons surtout des femmes seules parmi les apôtres et les martyres de la foi, ces protestantes qui ne veulent pas abdiquer sont des épouses et des mères. La tradition, souvent formulée en touchantes complaintes des exilées du désert[2], les rapports administratifs, les plaintes des autorités ecclésiastiques sont d’accord pour nous montrer les mères protestantes insufflant dans l’âme de leurs enfants l’attachement à la foi et faisant échouer tous les efforts tentés pour les ramener au catholicisme. La mère du pasteur Rousselle, exécuté à Nîmes le 30 novembre 1738, l’aurait encouragé au pied même de l’échafaud à mourir pour sa foi et aurait repoussé avec indignation le salut acheté au prix d’une abjuration.

Considérant que, dans cette région de la Picardie, le protestantisme fait d’inquiétants progrès, un curé de Noyon constate que le seul moyen d’en empêcher la diffusion serait d’instruire les filles, qui instruiraient elles-mêmes leurs enfants[3]. Les écoles pour former les jeunes nouvelles catholiques, voilà pour lui l’essentiel. On ne peut mieux dire que les mères protestantes empêchent par le seul ascendant familial les progrès de la conversion. Parfois, le père fléchit, la mère tient. Telle mère protestante envoie son fils à Genève contre la volonté même du mari[4].

Quant aux femmes qui se marient au désert, elles sont légion. Un édit de 1686 a eu beau établir que « les femmes des religionnaires convertis… qui persisteraient dans la R. P. R. ne pourraient disposer de leurs biens par donation ou par testament et seraient déchus des avantages à elles faits par leurs maris » [5] ; les tribunaux ont beau, parfois, à la requête de parents avides, considérer le mariage protestant comme un simple concubinage et priver les veuves des biens qui, légitimement, devaient leur revenir pour les attribuer aux collatéraux[6], malgré tout les femmes autant que

  1. Divers mémoires parus au xviiie siècle, sur la question des mariages protestants, évaluent sans doute, avec quelque exagération, le nombre des protestants français à trois millions.
  2. Coquerel en cite quelques-unes d’une naïveté émouvante.
  3. Arch. Départ., Somme, C. 1548.
  4. Arch. Départ., Hérault, C. 232.
  5. Isambert. Anciennes lois françaises.
  6. Coquerel (Histoire des églises du désert) cite plusieurs de ces jugements rendus par les parlements.