Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/350

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République des lettres et tient à honneur d’avoir un salon où elle réunit littérateurs professionnels des deux sexes et amateurs éclairés. C’est là un des traits les plus caractéristiques du xviiie siècle, l’un de ceux par lequel la vie mondaine d’alors diffère le plus profondément de celle de notre époque où, dans la plupart des salons, les préoccupations littéraires passent à l’extrême arrière-plan.

De petites bourgeoises amies de la mère de Mme  Roland, comme Mme  l’Epine, réunissent à des artistes notoires[1], littérateurs de second ordre, mais célèbres de leur temps, Mme  Benoit, Sylvain Maréchal. Femmes de parlementaires, de gentilshommes de province, vieilles demoiselles nobles réunissent autour d’elles, et ce dans les grandes comme dans les petites villes (Autun, comme Lyon ou Bordeaux), les beaux esprits locaux au milieu desquels brille parfois une célébrité nationale. Ainsi les principaux salons bordelais, ceux de Mme  d’Aiguillon, nièce du maréchal de Richelieu, de Mme  d’Egmont, de Mme  Duplessy, où, au milieu d’érudits du terroir et de muses locales (Elisabeth Duplessy, Mme  de Pontan-Belhade), apparaissent parfois Montesquieu, les Joseph Vernet[2] ; ainsi du salon de la présidente de Bourg, à Toulouse, où l’on discute art, littérature et archéologie, et des châteaux de l’aristocratie toulousaine, où l’influence de Rousseau est souveraine[3] ; ainsi à Lyon, où le salon d’une vieille fille, Mme  de la Rochebaron, voit passer Voltaire[4].

Si les femmes qui président aux destinées des salons de province ont fait beaucoup pour la diffusion des lumières, ce n’est cependant qu’à celles qui ont dirigé les cénacles de la capitale qu’il faut attribuer un grand rôle dans le mouvement littéraire et philosophique de leur temps. Quel fut au juste ce rôle ? Nous ne pouvons prétendre l’étudier tout au long, ni l’apercevoir dans tout ses détails. Chacune des Egéries qui furent la gloire du xviiie siècle a d’ailleurs été évoquée en des œuvres assez complètes pour ne plus guère laisser de place à des recherches nouvelles[5].

  1. Jarnowick, célèbre violoniste, le compositeur Marc Alex. Gérinu (Mme  Roland. Mémoires).
  2. Grellet-Dumazeau. Le salon de Mme  Duplessy.
  3. Gouget de Castera. La société toulousaine au xviiie siècle.
  4. De Gallien. La vie de province sous l’ancien régime.
  5. Cf. Pour Mme  de Lambert : Le salon de Mme  Lambert, par Ch. Giraud, Journal des savants, 1883. — Pour Mme  Geoffrin, Marquis de Ségur : Le royaume de la rue Saint-Honoré. — Pour Mlle  de Lespinasse : Marquis de Ségur, Mlle  de Lespinasse.