Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/40

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personnelle des magistrats. Ceux-ci appliquent l’esprit plus que la lettre des lois et il arrive que le progrès des lumières aidant, ils essaient, lorsqu’ils peuvent, de mettre lois et coutumes en harmonie avec le droit naturel. Ainsi se dessine une évolution qui n’est pas toujours inscrite dans les textes des lois, mais s’aperçoit assez nettement dans la jurisprudence et les gloses des interprétateurs : les lois barbares de l’époque féodale sont, autant que faire se peut, adoucies et, lorsqu’elles sont trop formelles pour qu’il en soit ainsi, on sent cependant passer chez tel juriste qui les énonce, ou les applique un souffle de l’esprit nouveau qui annonce les grandes réformes. La législation cependant, comme tout l’édifice de l’ancien régime, se prête mal à de sérieux remaniements. Là aussi, il faudra détruire et reconstruire.

Quelles que soient d’ailleurs les diversités et la contradiction que nous trouvions dans le chaos législatif, on peut cependant poser, quitte à la modifier chemin faisant dans le détail, cette affirmation. Au xviiie siècle encore, la formule du vieux juriste romain est parfaitement applicable. « Dans la plupart des cas la condition de la femme est inférieure à celle de l’homme. » Toujours en effet pèse sur la femme le double anathème dont l’ont frappée la loi romaine et la Bible. Et presque toutes les lois qui la concernent semblent avoir eu pour but soit de protéger la société contre la participation des femmes à la vie publique, soit de sauvegarder l’unité de la famille et l’autorité du chef légitime en assujettissant étroitement la femme, dans sa personne et dans ses biens, au mari, dont la puissance seule maintient solide la famille, la base de l’État, soit d’assurer la conservation du principe de la supériorité du sexe fort sur le sexe faible, soit enfin de protéger la femme contre elle-même, c’est-à-dire contre les entraînements nuisibles où peut la conduire son tempérament irréfléchi et passionné et la méconnaissance de son propre intérêt.

Un être sans maîtrise de soi, dont l’émancipation est un danger pour la famille, pour la société, pour elle-même, telle va apparaître la femme à la lecture des textes juridiques. Aussi ces textes tissent-ils autour d’elle un réseau solide et serré qui, étroitement, l’enserre et ne laisse à ses mouvements presqu’aucune liberté. Il semble que, comme la femme chinoise aux pieds meurtris dans ses bandelettes, elle doive à chaque instant trébucher.

La cause finale de l’existence de la femme est le mariage. Toute femme qui, l’âge venu, ne forme pas les « doux nœuds de l’hyménée » est, à moins qu’elle ne se fasse religieuse, infidèle au vœu de la nature.