Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/41

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Or, que représente pour elle le mariage ? Laissons parler un jurisconsulte : « Le mariage est indissoluble et inviolable… Les époux doivent se regarder comme n’étant en quelque façon qu’une même personne[1]. » C’est, déjà ébauchée, la théorie saint-simonienne du couple. Mais il s’en faut que l’on déduise alors de cette théorie l’égalité de la femme et du mari. Car, Dieu dit à Eve qu’en punition du péché, elle serait sous la puissance de son mari. Et la loi humaine soutient la loi divine.

« Le mari est le chef de la maison… il lui est permis parfois d’user d’une sorte de sévérité dans son ménage, mais cette sévérité doit être tempérée, par les égards dus à son sexe, à son titre de mère, à celui de compagne qui la met au même rang que son mari lorsqu’elle ne cesse pas d’être honnête[2]. » Ainsi le mari étant, comme disaient les théologiens, la tête de la communauté, la femme lui doit obéissance. Mais, de son côté, le mari doit avoir pour sa compagne certains égards. Tout en étant pour les besoins de la communauté qui exige une unité de direction, subordonnée dans la pratique à son mari, elle est moralement son égale et ni la loi civile ni la loi religieuse ne tolèrent qu’elle descende au rang d’esclave comme il arrive en Orient. Même différence en somme entre la condition de l’Européenne et de l’Orientale qu’entre la condition des sujets sous la monarchie absolue, mais soumise à certaines règles de l’Europe moderne, et le despotisme asiatique, qui est en dehors et au-dessus des lois.

Mieux, si la femme doit à son mari respect et obéissance, celui-ci doit à sa femme un respect, à vrai dire d’une autre sorte, et non seulement protection, mais égards. Égards dus à la faiblesse ou à la dignité du sexe ? Nul ne s’en explique clairement. Mais ce devoir d’affection et d’amour que l’on a fait récemment inscrire dans le Code, les jurisconsultes du xviiie siècle sont bien près de le considérer eux aussi comme essentiel. « Il arrive souvent au mari, écrit l’un d’entre eux, d’être forcé d’user de ses droits pour obliger la femme à concourir avec lui au plus doux des devoirs… mais la femme a plus souvent à se plaindre de ses oublis qu’il n’a à lui reprocher ses refus ou ses froideurs, et d’ailleurs, celui qui veut faire souffrir à sa femme ses tendres empressements doit commencer par les faire naître dans son cœur. » Écoutons un jurisconsulte encore s’exprimer ainsi : « Le mari ne repoussera pas la femme, même laide ou infirme, il la considérera comme une partie souf-

  1. Pothier. Traité de la puissance maritale. Orléans, 1774.
  2. Répertoire de jurisprudence.