Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/438

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semble que la loi doive permettre aux femmes la répudiation et aux maris seulement le divorce[1]. »

Des auteurs moins célèbres ont repris et développé avec beaucoup de force les idées des encyclopédistes. À la veille de la Révolution, les écrits sur le divorce deviennent nombreux. En 1770, paraît « Le cri d’une honnête femme, qui réclame le divorce conformément à l’usage actuel de tous les peuples de la terre qui existent et ont existé, excepté de nous[2]. » L’auteur, qui n’a pris le masque féminin et n’a mis son ouvrage sous forme de lettres que pour mieux frapper l’opinion, constate que tous les pays protestants d’Europe et la catholique Pologne elle-même ont établi le divorce et s’en trouvent bien. Il demande que, pour le plus grand avantage de la nation, le Gouvernement français suive leur exemple. Son étude est très favorablement commentée dans le Journal encyclopédique.

Dans une étude qui parut peu de temps après, M. de Cerfvol reprend, développe et condense tous les arguments exposés par ses devanciers, mais en insistant davantage sur la plus grande indépendance que le divorce doit accorder à la femme. Avec le mariage indissoluble, dit-il, le mari, « auquel la fortune et la personne de sa femme sont garanties par l’irrévocabilité du pacte, peut pousser l’outrage jusqu’à l’excès, pourvu qu’il évite l’éclat. La femme est exposée aux sévices d’un tyran ». Même séparée, la femme n’a pas, comme l’homme, reconquis sa liberté, puisque « si les lois divines condamnent également les dédommagements que les époux séparés peuvent se procurer, les lois humaines distinguent le sexe dans le crime… » Donc, seul le divorce peut assurer au sexe cette égale liberté que réclame la nature. D’ailleurs Cerfvol qui, malgré tout, est un défenseur du préjugé masculin, est, lorsqu’il en vient à envisager les modalités du divorce, tout à fait défavorable à la femme. C’est seulement « après cinq ans de réclusion » et à la condition de laisser la moitié des biens à son mari que celle-ci, si le divorce a été prononcé contre elle, pourrait recouvrer sa liberté. Morelly reprend, dans son Code de la Nature, la même proposition et n’autorise, lui, le divorce qu’au bout de dix ans. Enfin Cerfvol, comme Montesquieu, tient que la faculté du divorce, fortifiant la tendresse mutuelle des époux, diminuerait le nombre des ménages stériles et aurait un heureux effet sur la population.

  1. L’esprit des lois (Du divorce et de la répudiation). (Œuvres complètes, éd. Didot).
  2. Cet ouvrage n’existe pas à la Bibliothèque Nationale. Il s’en trouve un résumé dans le Journal Encyclopédique, de 1770.