Page:About - L’Homme à l’oreille cassée.djvu/211

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exproprier les débiteurs malheureux, fréter un navire ou deux pour le commerce de la viande noire sur la côte d’Afrique, voilà des spéculations que le bonhomme ne dédaignait aucunement. Il ne s’en vantait point, car il était modeste, mais il n’en rougissait pas non plus, ayant élargi sa conscience en arrondissant son capital. Du reste, homme d’honneur dans le sens commercial du mot, et capable d’égorger le genre humain plutôt que de laisser protester sa signature. Les banques de Dantzig, de Berlin, de Vienne et de Paris le tenaient en haute estime ; elles avaient de l’argent à lui.

Il était gros, gras et fleuri, et vivait en joie. Sa femme avait le nez trop long et les os trop perçants, mais elle l’aimait de tout son cœur et lui faisait de petits entremets sucrés. Une parfaite conformité de sentiments unissait les deux époux. Ils parlaient entre eux à cœur ouvert et ne se cachaient point leurs mauvaises pensées. Tous les ans, à la Saint-Martin, lors de la récolte des loyers, ils mettaient sur le pavé cinq ou six familles d’artisans qui n’avaient pu payer leur terme ; mais ils n’en dînaient pas plus mal et le baiser du soir n’en était pas moins doux.

Le mari avait soixante-six ans, la femme soixante-quatre ; leurs physionomies étaient de celles qui inspirent la bienveillance et commandent le respect. Pour compléter leur ressemblance avec les patriar-