Page:About - Le Roi des montagnes.djvu/194

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de vent, et la cire de mon cierge tombait sur ma main en pluie brûlante ; mais c’était, hélas ! bien peu de chose au prix de ce qui m’attendait. Je me serais abonné volontiers à cette douleur-là, si la cérémonie avait pu ne jamais finir.

Elle finit cependant. Quand la dernière oraison fut dite, le Roi s’approcha solennellement de la civière où le corps était déposé, et il le baisa sur la bouche. Les brigands, un à un, suivirent son exemple. Je frémissais à l’idée que mon tour allait venir. Je me cachai derrière ceux qui avaient déjà joué leur rôle, mais le Roi m’aperçut et me dit : « C’est à vous. Marchez donc ! Vous lui devez bien cela. »

Était-ce enfin l’expiation dont il m’avait menacé ? Un homme juste se serait contenté à moins. Je vous jure, monsieur, que ce n’est pas un jeu d’enfant de baiser les lèvres d’un cadavre, surtout lorsqu’on se reproche de l’avoir tué. Je m’avançai vers la civière, je contemplai face à face cette figure dont les yeux ouverts semblaient rire de mon embarras ; je penchai la tête, j’effleurai les lèvres. Un brigand facétieux m’appuya la main sur la nuque. Ma bouche s’aplatit sur la bouche froide ; je sentis le contact de ses dents de glace, et je me relevai saisi d’horreur, emportant je ne sais quelle saveur de mort qui me serre encore la gorge au moment où je vous parle. Les femmes sont bien heureuses : elles ont la ressource de s’évanouir.

Alors on descendit le cadavre dans la terre. On lui jeta une poignée de fleurs, un pain, une pomme et quelques gouttes de vin d’Égine. C’était la chose dont il avait le moins besoin. La fosse se ferma bien vite, plus vite que je n’aurais voulu. Un