Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/111

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nant, et peu à peu, de proche en proche, s’établissant dans tous les lieux civilisés du globe ; à telles enseignes que, si le télégraphe eût fait alors ses miracles d’aujourd’hui, et qu’au lieu de lui demander : Quel temps fait-il ce soir, à Calcutta, à New-York, à Moscow et dans cent autres villes, on lui eût dit : Que joue-t-on ? quel nom porte l’affiche ? Scribe, eût-il répondu, toujours Scribe ! On comprend que, pour les témoins d’un si étrange phénomène, celui qui en était l’âme, qui exerçait cette fascination, qui possédait le secret, sans exemple, d’être à la fois intelligible aux esprits les plus dissemblables, agréable aux goûts les plus contraires, et de suffire à la récréation du genre humain tout entier, devait laisser une impression peu prompte à s’effacer, passer pour un esprit de trempe peu commune, pour un homme, en un mot, de facultés extraordinaires. Tandis que ceux qui n’ont pas vu construire cette immense fortune, qui l’ont trouvée toute faite et prête à décliner, ont besoin d’un effort d’esprit, d’un travail d’impartialité pour se représenter quelle sorte de puissance sa création suppose. S’ils se laissaient aller aux influences de leur temps et à leur propre pente, ils ne verraient peut-être dans ce dominateur à moitié détrôné qu’un esprit ingénieux, actif, persévérant, de facultés moyennes, un personnage ordinaire servi par la fortune, un vaudevilliste parvenu, peut-être plus fécond, mais surtout plus heureux que le commun de ses confrères.

Qui faut-il croire ? J’admets que, des deux parts, il y ait quelque hyperbole : de quel côté est-on plus près du vrai ? laquelle des deux générations a le mot de l’énigme et la vue la plus juste sur la valeur de l’homme et sur les causes véritables de son immense célébrité ?