Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/115

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sa nature le lui aurait permis, il s’y serait refusé par système. Il est moins prompt, je le veux bien, moins audacieux à inventer des caractères qu’à créer des situations : mais, sur ce terrain même, ce n’est pas sa veine qui l’abandonne. Prenez ses personnages : ils sont nombreux, variés, amusants. La vie chez eux est abondante, bien que peut-être un peu factice. Il leur communique son esprit, sa gaieté, son entrain, son aimable malice ; tantôt la verve un peu narquoise des clercs de la basoche, dont il est un des héritiers, tantôt la joyeuse rondeur d’un ancien enfant du Caveau. Que manque-t-il donc à ces figures, ou, pour mieux dire, à ces portraits ? Un peu de consistance et de solidité. On les dirait peints au pastel. On sent qu’ils devront s’effacer, comme une épreuve photographique qui commence à pâlir. Pas un coup de burin ; rien n’est creusé, tout est à la surface. Que voulez-vous ? S’il creusait davantage, s’il accentuait ses caractères, il serait moins certain de plaire à tout le monde ; il créerait des contradictions qu’avant tout il veut éviter. Mieux vaut saisir, comme au passage, et la mode qui vient de naître, et l’épigramme d’hier, et le bon mot d’aujourd’hui. Cette vérité d’un jour ne déplaît à personne. En se bornant à effleurer sa toile, c’est son succès qu’il entend assurer.

J’en dis autant de son style : entre ses doigts la plume glisse plus vite encore que le pinceau. Ce style est simple, naturel, sans enflure ni recherche ; mais aussi quelle absence de toute aspérité ! Pas un angle, pas une saillie ! pas le moindre effet de couleur ! Est-ce encore un calcul ? Craint-il de détourner de son but principal l’attention de son spectateur, de se faire concurrence à lui-même ? Est-ce par coquetterie pour ses effets de scène qu’il reste dans ce demi-jour ?