Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/133

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rendit de sa personne, en pèlerin, disait-il, mais du pas d’un maître, et promettant la soumission du même ton qu’il eût exercé le commandement. Rome hésitait à parler et ne demandait que le silence, qu’elle désirait garder elle-même. Lamennais, moins patient que Rome, exigea une réponse ; il la voulut directe, positive, fit si bien qu’il l’obtint accablante et, du même coup, sembla entraîner dans sa chute l’alliance promise à l’avenir entre la religion et la liberté.

Il n’en était rien, Messieurs ; l’ombre même de l’homme illustre que vous pleurez se lèverait à mes côtés pour l’attester. Toute sa vie fut destinée à dissiper cette méprise. Frappé avec Lamennais, qu’il avait suivi dans son pèlerinage, il eut le mérite de comprendre qu’en refusant à M. de Lamennais, comme aux ligueurs de tous les temps, de glorifier l’insurrection en principe et de lâcher la bride à toute fantaisie populaire, l’Église, pas plus ce jour-là qu’aucun autre, n’avait entendu consacrer l’impunité de tous les pouvoirs, ni vouer les peuples à une stagnation éternelle et à une muette obéissance. Aujourd’hui comme au XIIIe siècle, aux nations qui subissent l’affront du pouvoir despotique, le vieux théologien du moyen âge, consulté, répondrait encore : En premier lieu, il faut savoir que la tyrannie n’est jamais légitime — Primo dicendum est quod regimen tyrannicum non est justum. — Mais c’était le caractère de M. de Lamennais empreint sur toutes ses doctrines qui le désignait d’avance à la réprobation de l’Église dont il prétendait renouveler les destinées. Elle lui interdisait ce qu’elle n’a jamais accordé à personne, quoique de grands princes, de grands génies et même de grands théologiens le lui aient souvent demandé, le droit de lui dicter une politique et