Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/136

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gile : il me semblait parfois que je voyais Saül ; mais nul de nous n’avait la harpe de David pour calmer ces soudaines irruptions de l’esprit mauvais... Je quittai la Chesnay seul, à pied, pendant que M. de Lamennais était à la promenade qui suivait ordinairement le dîner. À un certain point de ma route, je l’aperçus à travers le taillis avec ses jeunes disciples. Je m’arrêtai et, regardant une dernière fois ce malheureux grand homme, je continuai ma route sans savoir ce que j’allais devenir et ce que me vaudrait de Dieu l’acte que j’accomplissais. »

« Un homme a toujours son heure, ajoutait Lacordaire : il suffit qu’il l’attende et qu’il ne fasse rien contre la Providence. » Cette heure sonna pour lui au moment même où il rentrait dans Paris seul, ayant brisé ses amitiés de la veille, mais resté suspect à ses anciens supérieurs et chargé du poids d’une réputation précoce qui fermait devant lui toutes les portes. La seule qui s’entr’ouvrit fut celle d’une modeste chapelle de collège, où on lui permit de commenter le catéchisme pour des écoliers. Après quelques leçons, l’archevêque fut averti par des rapports empreints de malveillance que l’auditoire, attiré par un enseignement original, grossissait à vue d’œil et que la petite chapelle ne pouvait plus le contenir. La foule n’encombrait pas alors les églises. Séduit, bien qu’un peu effrayé par ce résultat inattendu, le prélat, par une de ces inspirations que donne quelquefois la charge d’âmes, se décida, malgré l’avis de ses plus sages conseillers, à ouvrir la première chaire de Paris à ce pénitent de génie, dont la persévérance ne semblait pas encore certaine.

Depuis le jour où les masses populaires en délire avaient profané ses parvis, la vieille cathédrale n’avait pas revu tant