Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/159

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clubs, mais dans la liberté du droit commun, de cette liberté qui est l’expression et la garantie de celle que Dieu a donnée à chacun de nous ici-bas.

Cette œuvre de réconciliation, cette reconnaissance entre l’Évangile et la révolution de 89, était-elle chose possible ? Oui, le Père Lacordaire l’a montré par sa vie et par ses écrits. Car c’est dans cette pensée et pour cette œuvre qu’il a vécu et qu’il a parlé ; c’est dans cette pensée aussi qu’il est mort. Cette œuvre était-elle facile ? Non ; elle a valu à M. Lacordaire bien des peines, bien des tribulations ; il a eu à traverser bien des difficultés, bien des écueils, et des écueils marqués par de grands naufrages.

Ici, Monsieur, permettez-moi de rappeler après vous le nom d’un grand écrivain de notre siècle, celui de M. de Lamennais. Pourquoi ne dirais-je pas que, le jour où je votais à l’Académie pour M. Lacordaire, je pensais malgré moi à M. de Lamennais ? Je me disais : Voilà aussi un grand esprit, une grande éloquence qui, avec M. Lacordaire et avant lui, a voulu résoudre le grave problème de notre siècle, ramener à Dieu la révolution, de 89 : mais, comme son génie allait toujours aux extrémités, il n’a pas pu concevoir la réconciliation charitable de l’Église et de la société ; il ne comprenait que la victoire impérieuse de l’ancien régime sur le nouveau, ou le triomphe tyrannique de la Révolution sur l’ancien régime. C’est cette logique excessive et dure qui lui a fait perdre le rôle que lui méritait son génie, celui de médiateur entre la société de 89 et l’Église catholique, et qui l’a poussé vers ce rôle d’exterminateur contradictoire, tantôt de la société nouvelle, tantôt de l’ancien régime. Il ne pouvait pas vaincre, tout fort qu’il était : il ne savait pas concilier.