Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cercle de ses nombreux élèves et se portait au hasard sur quiconque entrait dans la vie. Au plaisir d’obliger, il aimait à joindre les surprises heureuses de l’incognito. Se promenant, par un long soir d’été, sous les ombrages du Luxembourg dont il était le visiteur quotidien, il aperçut un étudiant qui déroulait les planches d’un traité de physique. Apprenant qu’il préparait un examen, M. Biot offrit de lui donner quelques conseils, n’étant pas, lui dit-il, étranger à ces matières-là. La proposition fut acceptée et suivie d’une leçon de deux heures. Frappé des aptitudes heureuses de son disciple, et quittant le champ des mathématiques pour aborder des questions d’un ordre différent, il discourut avec abondance sur les difficultés que rencontre la jeunesse à l’entrée de la carrière, et sur les redoutables problèmes que la science pose trop souvent sans les résoudre. Heureux d’apprendre que son interlocuteur était au-dessus des périls de la pauvreté et des dangers beaucoup plus grands, suivant lui, de la richesse, il fit suivre les conseils dictés par son expérience des plus hautes considérations morales, terminant un entretien tout rempli d’interrogations socratiques par ces paroles dans lesquelles on retrouve comme un écho des leçons de Platon aux jardins d’Académus : « Travaillez, jeune homme, et le succès vous viendra, surtout si vous ne le cherchez point. Les sciences naturelles sont belles quand on peut en pénétrer l’esprit, mais fort nuisibles quand on ne va pas jusque-là, car, si elles n’élèvent pas l’homme jusqu’au ciel, elles le ravalent jusqu’à la terre… Il faut étudier beaucoup pour comprendre et pour admirer la matière, mais bien plus étudier encore pour arriver à découvrir qu’elle n’est rien ! »