Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/209

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rancune. La démence de Charles VI, les trahisons de son indigne épouse, l’ambition de la maison de Bourgogne si maladroitement ressuscitée par l’absurde système des apanages, l’insouciance de Charles VII, l’indifférence d’un peuple, en qui l’esclavage et la misère avaient étouffé tout sentiment de patriotisme, le découragement de l’armée et des chevaliers eux-mêmes, avaient mis le royaume à deux doigts de sa perte. Plus d’espérance, plus de ressources ; on en chercherait en vain dans les annales de ce temps, et l’on peut défier, à cet égard, les esprits forts et les sceptiques. Mais vous nous présentez alors cette angélique figure de Jeanne d’Arc, cette étonnante création de l’esprit religieux et monarchique ; et la couronne de France est arrachée à l’ennemi qui l’avait déjà posée sur sa tête. Cette œuvre ne fut point accomplie par cette héroïne improvisée. Elle fut interrompue par une mort qui laisse une tache ineffaçable sur les fastes d’une nation qui a pu réparer ses défaites par de grandes victoires, mais que rien n’absoudra d’un crime auquel l’orgueil blesse eut plus de part que la superstition dont il prenait le masque. Cette mort ne laisse à Jeanne d’Arc que l’honneur d’avoir réveillé, par un coup d’éclat, une nation qui s’assoupissait dans sa honte, mais ce fut un immense service ; l’élan qu’elle avait donné ne fut ni arrêté ni même ralenti, et, en accomplissant la mission de la bergère, nos chevaliers pouvaient sans s’abaisser lui reporter une part de leur gloire. Vous donnez à cette narration tout l’intérêt d’une légende, sans que la vraisemblance en soit altérée. Vous vous plaisez en général à retracer les services de l’esprit catholique, mais je crains que vous ne les ayez un peu exagérés, en lui faisant honneur d’un concours perpétuel que le clergé aurait prêté