Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/212

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guerre et l’anarchie ajoutant presque toujours des horreurs nouvelles à celles qu’on va chercher au-delà des mers, les peuples mal armés courant à leur but lointain sans ordre, sans discipline et sans prévoyance, la famine dévorant les armées, des batailles où s’abîmaient des nations, cent mille hommes détruits dans une campagne, deux siècles de folies où le plus pur sang de la France s’en allait couler sur des plages étrangères, saint Louis enfin épuisant sans succès ses trésors et le sang de ses peuples, laissant au loin ses flottes et ses armées, et revenant presque seul dans sa capitale désolée. Certes, en recueillant ces tristes vérités dans vos livres, je ne concevais pas que votre enthousiasme pût survivre à des malheurs que vous condamniez avec tant d’amertume. Réglons les comptes de cette pieuse folie, nous n’y trouverons pour bénéfice net que la Jérusalem délivrée.

Ma querelle est vidée, Monsieur. Je reviens à l’éloge. Deux sentiments honorables et une grande pensée dominent dans vos écrits. C’est la haine du despotisme, l’horreur de l’anarchie féodale, et une aspiration constante vers le gouvernement constitutionnel. Vous saisissez avec une joie infinie toutes les tendances qui se manifestent vers cet objet de votre sympathie ; et c’est toujours avec douleur que vous reconnaissez la vanité de vos illusions. C’est même avec colère que vous blâmez les hommes qui trompent vos espérances. Vous reprochez aux rois de n’abattre la féodalité que pour s’élever sur ses ruines, au lieu de faire servir leur triomphe à l’avancement des libertés publiques. Vous accusez la noblesse d’avoir toujours manqué de sens politique, d’avoir harcelé le pouvoir sans s’inquiéter d’en régler l’exercice, et de considérer sa tâche comme accomplie sitôt qu’elle a arraché à