Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avant-garde de l’état futur des nations chrétiennes. Je dis des nations chrétiennes, car il rattachait à l’Évangile ce mouvement progressif du genre humain vers l’égalité ; il pensait que l’égalité devant Dieu, proclamée par l’Évangile, était le principe d’où était descendue l’égalité devant la loi, et que l’une et l’autre, l’égalité divine et l’égalité civile, avaient ouvert devant les âmes l’horizon indéfini où disparaissent toutes les distinctions arbitraires, pour ne laisser debout, au milieu des hommes, que la gloire laborieuse du mérite personnel. Mais, malgré cette origine sacrée qu’il attribuait à l’égalité, malgré le spectacle étonnant dont il avait joui par elle en Amérique, malgré sa conviction que c’était là un fait universel, irrésistible et voulu de Dieu, il n’envisageait qu’avec une sainte épouvante l’avenir que préparait au monde un si grand changement dans les rapports sociaux. Il avait vu chez les Américains l’égalité agir naturellement comme une vertu héréditaire : il la retrouvait trop souvent en Europe sous la forme d’une passion, passion envieuse, ennemie de la supériorité en autrui, mais la convoitant pour soi, mélange d orgueil et d’hypocrisie, capable de se donner à tout prix le spectacle de l’abaissement universel, et de se faire de l’humiliation même un Capitole et un Panthéon. Il avait vu l’ordre naître en Amérique d’une égalité acceptée de tous, entrée dans les mœurs comme dans les lois, vraie, sincère, cordiale, rapprochant tous les citoyens dans les mêmes devoirs et les mêmes droits ; il la retrouvait en Europe inquiète, menaçante, impie, s’attaquant à Dieu même, et sa victoire, inévitable pourtant, lui causait tout ensemble le vertige de la crainte et le calme de la certitude.

Je remarque une autre vue qui l’accablait plus que toutes