Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/235

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qu’il a vu. Il n’oublie pas les actes de dévouement dont il a été personnellement l’objet. Dans les courses secrètes qu’il faisait à Paris pour voir son père, dans sa fuite au travers des départements du Nord, il recevait un asile, des secours qu’on ne pouvait lui offrir sans s’exposer aux plus grands dangers. Pendant son séjour à Croissy il vit un de ces traits d’intrépide générosité qui l’auraient, au besoin, réconcilié avec la nature humaine. La récolte avait été mauvaise ; la circulation des grains était interrompue ; les environs de Paris, qui n’en produisent qu’une faible quantité, étaient réduits à une extrême détresse. Un soir, à la nuit close, une charrette chargée de grains entre dans sa cour. Deux jeunes gens de la campagne déchargent les sacs de blé, les déposent dans l’endroit le plus reculé de la maison. Les fermiers du domaine de Coulans, devenus, par la confiscation, fermiers de l’État, avaient appris que le fils de leurs anciens maîtres vivait à Croissy dans une sorte de dénûment ; ils avaient voulu lui donner ce précieux témoignage de leur reconnaissant souvenir ; deux de leurs enfants s’étaient dévoués à cette périlleuse entreprise ; ils en étaient venus à bout et repartaient heureux d’une noble action faite avec tant de simplicité et de courage.

Cependant, au fond de sa retraite, M. Pasquier voyait le gouvernement du Directoire s’affaisser de jour en jour sous le poids de ses fautes, de ses corruptions et de ses coups d’État répétés ; et près de lui grandir un homme singulier, enveloppé de mystère, déjà célèbre par ses victoires et qui allait le remplacer.

Mon prédécesseur n’a pris aucune part au 18 brumaire,