Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/281

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qui n’apprendront rien à personne et où vous êtes si fort au-dessous de la grandeur du sujet qui tous les inspire ?

« Ces lignes, il faut que ceux qui daigneront les lire le sachent bien, elles ont été écrites par moi uniquement pour ma satisfaction la plus intime. Peut-être cependant ne serait-il pas mauvais qu’on eût le moyen de savoir un ft jour tout ce qui peut se rencontrer d’émotions vives, sincères, déchirantes dans le cœur d’un vieil homme arrivé au bout de sa quatre-vingt-quatorzième année. Eh bien ! oui, cet homme si vieux, si déchu, il vient de ressentir, et il le doit à la chère Pauline de Tourzel, une de ces émotions qui témoignent le mieux de la sincérité des regrets et des vieilles douleurs. Elle l’a ramené tout entier aux jours de sa jeunesse la plus ardente, à ceux où il assistait, frémissant de colère et de rage, à l’infâme jugement du roi Louis XVI, où il suivait cette sainte victime jusqu’au pied de l’échafaud, où il a vu tomber sa tête. Vous croyez peut-être, vous autres du temps présent, qu’on peut repasser silencieusement, et en quelque sorte studieusement, sur une telle époque ; non, non, vous vous trompez ; il existe dans les veines de ce nonagénaire un reste de sang ce qui peut encore bouillonner ; ses yeux ne sont pas encore ce assez éteints pour qu’il n’y ait moyen d’y retrouver quelques restes des larmes qu’il répandait en 1792 et 1793, et ce qui ne lui ont pas fait défaut dans cette dernière épreuve. »

Qui n’admirerait chez un vieillard arrivé aux dernières limites de la vie humaine et dont tant de révolutions, d’épreuves, de travaux devraient avoir usé la sensibilité, cette faculté si persévérante de sentiment et d’émotion, cet appel aussitôt entendu, dans un passé lointain, à de chers et