Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/288

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Heureusement, un sentiment d’équité naturelle absout et encourage l’indiscrétion qui dévoile les choses honnêtes et les expose à l’estime. La louange de ce qui en est digne satisfait la conscience publique. Si elle n’est pas nécessaire à ceux qui l’obtiennent, elle profite à ceux qui la donnent, à ceux qui l’entendent. Elle excite l’imitation, contente la justice, honore l’humanité. Non, assurément, que nous ayons, en signalant quelques traits éminents de bienfaisance, de courage ou de dévouement, l’insoutenable prétention d’égaler les récompenses aux mérites et d’être justes pour toutes les bonnes actions. Nous savons bien que, ramassant à peine quelques épis dans un vaste champ, nous sommes les glaneurs d’une riche moisson. Mais, en laissant dans l’ombre des milliers de nobles faits qui échappent à la publicité, nous avons l’assurance de servir l’intérêt moral de la société, si nous provoquons l’admiration, la reconnaissance ou la sympathie pour quelques-unes des âmes d’élite qu’elle contient dans son sein, si nous là portons à rendre un juste hommage à des vertus dont la découverte la console et la rassure, et à concevoir d’elle-même, sur ces nobles exemples, une opinion meilleure et une meilleure espérance. Une misanthropie railleuse est un des plus dangereux penchants des sociétés désabusées par l’expérience et blasées par les progrès mêmes de la civilisation. La Rochefoucauld devient trop facilement le seul moraliste des époques raisonneuses et découragées. Ces anciens frondeurs qui passent des excès de l’indépendance à la paix humiliante de la servitude, sont trop disposés à douter du cœur et de la raison. Plus ils ont d’esprit, comme l’auteur des Maximes, plus ils analysent savamment l’égoïsme, et justifient leurs