Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/326

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La première place dans votre reconnaissante admiration appartient à Madeleine Augier, surnommée la Quêteuse. Il n’est personne qui, ayant parcouru, de 1821 à 1827, la route d’Avignon à Marseille, n’ait conservé le souvenir de cette jeune femme à robe noire, à coiffe blanche, qui, au moment où les voitures, les voyageurs, les simples passants traversaient la ville d’Orgon, se présentait à eux et leur tendait la main pour les pauvres malades de l’hôpital de cette ville. Née pauvre et vouée dès l’enfance aux travaux des champs, à l’âge de vingt ans, elle vit son frère dangereusement malade et guéri à la suite d’une neuvaine faite par elle, au sanctuaire vénéré de Notre-Dame-de-Lumières, dans la vallée d’Apt. Par reconnaissance de ce bienfait, elle fit vœu d’embrasser la vie religieuse ; mais, faute de dot et d’instruction suffisante, elle ne put être admise dans une communauté. Ce fut alors qu’elle se fit quêteuse pour les pauvres, et qu’elle commença cette vie de fatigues incessantes qu’elle a poursuivie jusqu’à ce jour pour l’amour de Dieu et du prochain. Pendant vingt-six années consécutives on l’a vue, hiver et été, braver tantôt la chaleur suffocante et la poussière provençale, tantôt le souffle violent du mistral, être à son poste à chaque heure du jour et de la nuit, attendre les passants sur la grande route, et n’en laisser échapper aucun à sa modeste importunité. Son unique abri, pendant ces vingt-six ans, a été une guérite en planches de cinq pieds carrés, qu’on a depuis achetée et conservée comme une relique. Bien que si jeune, et, disons-le avec le maire d’Orgon, sans quelle l’entende et sans qu’elle l’ait jamais su, bien que très-belle, cette vierge candide, qui passait ses jours et ses nuits au milieu des postillons et des charretiers, n’a jamais été insultée. L’admira-