Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/361

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générosité. Des soldats ennemis lui enlevaient sa maîtresse, et il la défendait contre eux : on vint lui dire que d’autres Hyrcaniens enlevaient sa mère à quelques pas de la : il quitta en pleurant sa maîtresse et courut délivrer sa mère. Il retourna ensuite vers celle qu’il aimait, et la trouva expirante. Il voulut se tuer ; sa mère lui remontra qu’elle n’avait que lui pour tout secours, et il eut le courage de souffrir la vie.

« Les juges penchaient pour ce soldat. Le roi prit la parole et dit : Son action et celles des autres sont belles, mais elles ne m’étonnent point ; hier, Zadig en a fait une qui m’a étonné. J’avais disgracié depuis quelques jours mon ministre et mon favori Coreb. Je me plaignais de lui avec violence, et tous mes courtisans m’assuraient que j’étais trop doux ; c’était à qui me dirait le plus de mal de Coreb. Je demandai à Zadig ce qu’il en pensait, et il osa en dire du bien. J’avoue que j’ai vu, dans nos histoires, des exemples qu’on a payé de son bien une erreur, qu’on a cédé sa maîtresse, qu’on a préféré une mère à l’objet de son amour ; mais je n’ai jamais lu qu’un couitisan ait parlé avantageusement d’un ministre disgracié contre qui son souverain était en colère. Je donne vingt mille pièces d’or à chacun de ceux dont on vient de réciter les actions généreuses, mais je donne la coupe à Zadig.

« Sire, dit Zadig, c’est Votre Majesté seule qui mérite la coupe ; c’est elle qui a fait l’action la plus inouïe, puisque, étant roi, vous ne vous êtes pas fâché contre votre esclave, lorsqu’il contredisait votre passion. » (Zadig, ch. V.)

Ainsi, Messieurs, l’Académie, quand elle couronne les abnégations généreuses, les dévouements patients et persévérants, a pour elle l’autorité même des romans. Qu’on ne