Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/372

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innocents de ce monde comme les vrais témoignages de son amour, et Baucis a quitté la terre avant Philémon. Demeuré veuf depuis dix-huit ans et n’ayant jamais eu d’enfant, Laffray serait seul sous son toit désolé, si chaque soir ne réunissait autour de lui la famille qu’il s’est créée. Il la voit s’accroître tous les jours avec une fécondité dont il s’applaudit. Abondance de biens ne nuit pas, dit-il. Mais, frappant exemple de la puissance contagieuse de la vertu, on nous atteste que dans cette maison ainsi ouverte à tout venant, jamais un mot malsonnant n’a retenti, jamais le moindre objet n’a disparu. Quelques-uns des hôtes se piquent même d’honneur et rapportent ou renvoient les petites avances que Laffray leur a faites ; c’est ainsi qu’il a reçu dernièrement de Marseille un mandat de vingt francs, somme prêtée par lui à un pauvre jeune homme. C’était, a-t-il dit, un prêt fait sur l’éternité : je n’y comptais pas. Dieu m’enverra bien à qui les prêter encore.

L’Académie décerne à Jean Laffray un prix de trois mille francs en honneur de la vertu dont il est parmi nous, je ne dirai pas le plus parfait, mais l’unique exemple.

Avec le second prix, nous rentrons en plein dans le dix-neuvième siècle, et dans l’ordre de misères habituellement secourues, par l’ordre de vertus que couronne aussi habituellement l’Académie. Une famille, autrefois aisée, et réduite par des malheurs à un état de pauvreté d’autant plus cruel qu’elle garde le souvenir d’une condition meilleure ; un jeune homme qu’une éducation toute dirigée vers le développement de l’esprit a rendu à la fois sensible à toutes les privations et incapable du labeur manuel qui pourrait les soulager ; la délicatesse des habitudes frois-