Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/375

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Dans une journée funeste, Jules Lécuyer, échappant à sa vigilance, imagina, malgré un temps orageux et une saison déjà rigoureuse, d’aller aux falaises voisines pour s’y baigner. Le soir, Marianne Feillet l’attendit en vain : elle apprit seulement qu’un pêcheur avait entendu un grand cri, et le lendemain la vague rejetait un cadavre à la côte. Sombre fin d’une existence que le bonheur et l’intelligence n’avaient éclairée que de leurs plus pâles rayons. Depuis lors, Marianne, n’ayant plus à qui se dévouer, n’a plus de raison de vivre. Elle vit cependant, sans se plaindre de la volonté divine qui la retient ici-bas. Le prix de deux mille francs que l’Académie lui décerne est moins destiné à venir en aide à sa vieillesse, dénuée de toutes ressources, qu’à satisfaire la conscience publique et à répondre au vœu ardemment exprimé par tous les témoins d’une si noble existence.

Pour égaler Marianne Feillet, une seule chose peut-être a manqué à Joséphine Larcher, de Paris, à qui l’Académie destine une médaille, de mille francs : c’est de trouver auprès d’elle l’occasion constante et naturelle du dévouement. Mais elle s’est efforcée de la faire naître par les inventions les plus ingénieuses. Engagée au service de maîtres aisés qui appréciaient son affection, mais n’avaient pas besoin de ses sacrifices, c’est à une pauvre fille malade demeurant dans son voisinage, qui ne tenait à elle par aucun lien, que Joséphine a consacré pendant vingt-sept ans tous les loisirs que lui laissait et tout l’argent que lui rapportait son service. Elle s’est faite sa garde-malade, et a payé pendant tout ce temps son loyer et tous les médicaments nécessaires d’une coûteuse et interminable maladie. Celle-ci morte, l’habitude était prise et il a bien fallu pourvoir à la rem-