Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/491

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génie fait partie de l’accusation de leur temps et dépose à l’appui de leurs récits vengeurs ou de leurs allusions indignées. Seulement le critique moderne ne s’anime pas, d’après eux, comme Diderot ou Thomas ; et il explique leur colère, plus qu’il ne la ressent, non par indifférence ; car il admire avec passion la vertu de Thraseas, et il semble ennemi des Panégyristes jusqu’à l’injustice, en appelant Pline le Jeune le plus méticuleux des orateurs. Mais il veut être surtout juge littéraire ; et il cherche dans les œuvres de la pensée moins une protestation de principes qu’une étude de mœurs et d’art.

C’est ainsi surtout qu’il décrit l’influence des rhéteurs grecs dans l’empire romain, de ces rhéteurs dont quelques-uns furent des philosophes, près du temps où Marc-Aurèle était empereur et philosophe. Épictète, Dionchrysostome, Marc-Aurèle lui-même, cette puissance de la réflexion morale, dans la chute des institutions et des lois, cette action du stoïcisme devenant un culte et un apostolat, pour l’esclave dans les fers, pour le philosophe errant et banni, pour le souverain tout-puissant, dont il est la seule barrière, c’est là sans doute une curieuse époque de l’histoire. L’auteur n’en a pas également saisi tous les traits ; et quand il célèbre Lucien comme le dernier grand écrivain de la Grèce, il oublie que la moquerie de tout un ancien monde, sans l’invocation d’une foi nouvelle, n’est pas la grandeur et n’en peut mériter le nom. Mais il a fait rarement telle méprise. Le sentiment du bien, une justesse de raison mêlée de vues ingénieuses, le savoir vrai et, partant, le style naturel, recommandent cet ouvrage ; et l’Académie lui décerne un prix de même valeur qu’aux deux précédents.