Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/593

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES BROCHETS.




Un riche amateur de poissons
En avait jeté par centaines
Dans un étang de ses domaines.
C’étaient des truites, des saumons,
Du fretin de carpe ou d’anguille,
Hors le brochet, exclu pour sa voracité ;
Les habitants des lacs n’avaient point de famille
Où mon homme n’eût recruté.
Des produits de sa pêche, au gré de son envie.
Sa table fut longtemps abondamment servie.
Mais un beau jour son œil demeura stupéfait,
Quand, au bout de sa ligne à son bras disputée,
Il vit, au bord de l’eau bruyamment agitée,
La gueule énorme d’un brochet.
Grande fut sa surprise et surtout sa colère.
La tête de Méduse eût causé moins de peur.
Il prévit en tremblant que ce grand ravageur
De brochetons nombreux devait être le père,
Et voulut éclaircir ce mystère d’horreur.
Par cent bras, qu’animait sa voix impatiente,
L’étang fut mis à sec, ratissé, nettoyé.
Sous ses yeux avec soin le poisson fut trié.
Remis dans des baquets pleins d’une eau transparente.