Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/61

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mandez les grandes satisfactions de votre âme et que vous donnez votre vie ; rien ne vous arrête, rien ne vous rebute ; il faut que vous deveniez moine pour que votre nature fécondée se déploie dans toute sa richesse, et c’est en empruntant au XIIIe siècle votre nom et votre habit que vous devenez, dans le XIXe et sur vos contemporains, un orateur puissant et populaire. Que fait cependant M. de Tocqueville, ce fils de l’ancien régime, aristocrate par l’origine, par les exemples de sa famille et les habitudes de sa jeunesse ? Comme vous, Monsieur, il sort de l’atmosphère où il est né : mais ce n’est pas, comme vous, vers le passé que se portent ses regards ; il ne cherche point là ses modèles et ses armes ; il s’éloigne de la vieille Europe ; il va trouver au-delà des mers d’autres institutions, d’autres mœurs, une société toute nouvelle, sans roi, sans aristocratie, sans Église de l’État ; et le gentilhomme français devient le témoin fidèle, l’habile interprète de la démocratie américaine ; et c’est en la décrivant, en l’expliquant, qu’il acquiert dans sa patrie un beau renom, une grande influence, et qu’il s’ouvre cette carrière politique à laquelle il aspirait. Jamais, à coup sûr, deux hommes plus divers à leur point de départ n’ont pris, en entrant dans l’âge viril, des routes aussi plus diverses. Qu’en est-il résulté pour l’un et pour l’autre. ? Cette double et longue diversité vous a-t-elle de plus en plus séparés, et en arrivant près du terme vous ètes-vous trouvés plus étrangers l’un à l’autre que vous ne l’étiez en partant ? Nullement ; vous vous êtes, au contraire, sans le chercher, sans le savoir, rapprochés et unis. Vous, Monsieur, vous vous êtes voué à la résurrection de la foi religieuse, et M. de Tocqueville à la fondation de la liberté politique : mais dans ces deux