Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/63

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tait, ce que cherchait pour notre patrie M. de Tocqueville, je le souhaitais, je le cherchais comme lui ; nous portions, je n’hésite pas à le dire, aux libertés publiques et aux institutions qui les fondent, le même amour, inspiré par des idées et des sentiments à tout prendre très-semblables, et contenu, ou bien près, dans les mêmes limites. Comment donc s’est-il fait que, dans la vie publique, nous ayons presque toujours vécu dans des camps opposés, et que, malgré une estime mutuelle, nous ayons employé à nous combattre notre temps et nos forces, tandis que nous semblions si naturellement appelés à nous seconder et à nous soutenir mutuellement ? Je me suis plus d’une fois posé cette question au milieu même de l’arène politique ; elle me touche encore plus aujourd’hui, dans la retraite où je vis et au souvenir de M. de Tocqueville entré dans le repos éternel.

Je suis tenté de croire que la diversité de nos études et de nos travaux, en dehors de la vie publique, n’a pas été étrangère à celle de nos alliances et de nos routes politiques. J’ai longtemps étudié le développement des anciennes sociétés européennes et les éléments divers qui ont été comme les acteurs de leur histoire : la royauté, la noblesse, le clergé, la bourgeoisie, le peuple, l’État, l’Église, les communions dissidentes ; je les ai suivis et observés dans leurs mélanges, leurs luttes, leurs succès et leurs revers ; j’ai pris, dans ce spectacle, l’habitude de regarder ces éléments divers comme essentiels à nos grandes sociétés européennes, de les comparer, de peser leurs droits et leurs forces mutuelles, de leur faire à chacun, dans l’ordre social, sa place et sa part. M. de Tocqueville, jeune encore, s’est adonné