Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/654

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L’ÉCOLIER.

Et l’art de mendier ?

LE JONGLEUR.

J’ai fait de grands progrès. Je fus près d’un an… moine !

L’ÉCOLIER.


Rien qu’un an ?

LE JONGLEUR.

La besace est un beau patrimoine,
Mais je ne pouvais plus en fils de ménestrel
Ni jouer à trois dés au jeu du trémérel,
Ni courir les tournois avec ma chère harpe…
Ni pendre mon tambour et ma vielle en écharpe…
Ni boire à pleins… Oh ! si, cela, je le pouvais !…
Mais je ne pouvais plus dire d’amoureux lais
Aux jeunes filles… Si ! je le pouvais encore !…
Mais les prés et les bois, mais les chants dès l’aurore !…
Mais tous mes jours jetés au vent des carrefours !
Mais les belles chansons de bataille et d’amours !
Oh ! les perdre à jamais, c’était chose trop dure !
Dans ces temps d’aventure entrons en aventure…
M’écriai-je… et je pars du couvent, pour tous biens
Emportant mes auteurs profanes et chrétiens !
Le voyage fut court pour ma bibliothèque.
Le premier jour, à Laon, je vendis mon Sénèque ;
Le second, je jouai mon Psautier à Soissons…
C’était un vendredi, contre deux beaux poissons.