Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/685

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Lynx envers nos pareils et taupes envers nous,

dit la Fontaine,

Nous nous pardonnons tout et rien aux autres hommes ;
On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.
Le fabricateur souverain
Nous créa besaciers tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui :
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui[1].

Le mérite de l’allégorie, de la fable ou de la parabole, est de savoir se servir à merveille de cette heureuse disposition de notre nature. L’allégorie prend dans la poche de devant, où sont les défauts d’autrui, les exemples qu’elle veut mettre sous nos yeux ; elle nous les fait regarder sans répugnance et même avec un certain plaisir ; puis quand, grâce à ces exemples d’autrui, notre attention est éveillée, l’allégorie se dissipe comme un brouillard placé un instant devant nos yeux, et le moraliste, tournant brusquement les deux poches et mettant devant celle de derrière, s’écrie :

. . . . . . Mutato nomine, de te
Fabula narratur
[2]. . . . . .

C’est toi, en changeant le nom, c’est toi que touche la fable ; ou, plus hardiment encore, comme le prophète Nathan au roi David : Tu es ille vir ! C’est toi qui es cet homme !

Quelle admirable parabole que celle de la brebis du pau-

  1. Fable 7 du Ier livre.
  2. Horace.